3 questions à... Louise Chennevière
Le 13/02/2023
L'Agence vous propose de découvrir régulièrement des auteurs et autrices qui vivent et travaillent en Provence-Alpes-Côte d'Azur. L'autrice de romans Louise Chennevière, qui habite dans le Vaucluse, a bien voulu se prêter au jeu des questions-réponses.
Elle a 29 ans et a grandi à Paris. Installée à Orange depuis peu, elle a publié deux romans aux éditions P.O.L. Comme la chienne en 2019 et Mausolée en 2021. La jeune femme nous dévoile ses projets pour les mois à venir ainsi que ses goûts en matière de littérature.
Quelle est votre actualité ?
"Mon dernier roman, Mausolée, vient d'être traduit en espagnol et en italien, je vais donc voyager pour le présenter. C'est toujours une grande joie de voir son texte dans une autre langue et de pouvoir atteindre des lecteurs que l'on n'aurait jamais imaginé toucher !
Je travaille aussi à mon troisième roman, qui s'appellera Black-Out. C'est un texte sur la perte de mémoire dans lequel une jeune femme, confrontée à des "absences" liées à une expérience traumatique, accompagne sa grand-mère qui, elle, est atteinte de la maladie d'Alzheimer. À travers leurs échanges troués, leurs défaillances intimes, se noue entre elles une autre manière de communiquer et un autre rapport au temps. Mes livres sont toujours des moyens pour tenter de résoudre des questionnements qui m'obsèdent et me bouleversent, et découlent toujours d'expériences intimes.
Par ailleurs, cela fait près de trois ans maintenant que je me suis mise à la musique. J'ai commencé le piano durant le confinement et depuis lors, je n'ai cessé d'écrire des chansons. J'en ai déjà sorti quelques-unes et travaille maintenant sur un album. La musique m'a permis de réinventer mon rapport à l'écriture, d'aller vers la poésie. J'ai déjà donné quelques petits concerts et prépare les prochains. Jouer devant un public, pour moi qui avais l'habitude de me cacher derrière des livres, c'est une expérience radicalement nouvelle. Cela me donne beaucoup de force, et ce malgré le trac terrible…".
Quel est le livre qui vous a le plus marqué et pourquoi ?
"S'il faut n'en choisir qu'un, je dirai Les Armoires vides d'Annie Ernaux, car ce roman a été décisif dans ma vie d'écrivaine. Il s'ouvre brutalement sur les pensées d'une toute jeune femme qui vient juste d'avorter, tout lui semble vain, ne sachant que faire d'elle-même si ce n'est attendre que ça passe. Les auteurs qu'elle aimait alors ne lui sont d'aucune aide, car les livres ne parlent pas de ce qu'elle vit. Lorsque j'ai ouvert ce livre, je n'avais encore lu que peu d'autrices, mes écrivains adorés étaient tous des hommes, et lorsque j'écrivais je me choisissais des doubles masculins. Je ne pensais pas pouvoir apparaitre en tant que femme dans la grande littérature. Et puis, j'ai découvert Annie Ernaux et ça été un bouleversement, je me suis dit que non seulement je pouvais me montrer en tant que femme, mais que je me devais de le faire, que c'était une sorte de devoir de représentation. Une tâche nécessaire que de faire apparaître ces corps de femmes qui avaient toujours été exclus - ou plutôt ces corps qui ont toujours été représentés mais de manière idéalisée, masquant la réalité de ces vies obscures que Virginia Woolf appelait déjà à montrer dans Une chambre à soi, autre livre fondamental pour moi. Ce sont deux œuvres qui m'ont donné beaucoup de force en tant que jeune autrice".
Quel est le livre qui vous a fait le plus rire ?
"Je crois que Flaubert est l'un des écrivains qui me fait le plus rire, même si c'est d'un rire terrible. Il est sans pitié. Sous son écriture, tout y passe. Il détruit la bien-pensance bourgeoise, tous les faux-semblants. Ses livres sont à la fois cruels et incroyablement drôles. Madame Bovary, par exemple, est un livre déchirant et pourtant on ne cesse de rire devant les personnages qu'il crée. Je pense notamment à l'amant d'Emma, Rodolphe, un imbécile se prenant pour un grand Don Juan, qui prête à la fois à pleurer et à rire. Il y a Bouvard et Pécuchet aussi évidemment. Mais pour moi, c'est surtout sa correspondance qui se lit comme un véritable roman et dans laquelle il dresse des portraits impitoyables de ses contemporains. Il y a aussi Le dictionnaire des idées reçues dans lequel il recense tous les clichés associés à certains concepts, je peux le relire encore et encore, ça fonctionne toujours".