La librairie d'aujourd'hui et de demain en question
Le 20/04/2018

Lundi 16 et mardi 17 avril 2018 se sont tenues les Assises régionales de la Librairie organisées par Libraires du Sud à Aix-en-Provence. Deux jours d'ateliers et de plénières autour de deux grands thèmes : la librairie et ses territoires ; la librairie aujourd'hui et demain. Deux problématiques se sont dégagées : comment défendre et favoriser la librairie en centre-ville ? Quelles formes alternatives de librairie sont possibles ?
La librairie en Provence-Alpes-Côte d'Azur, photographie 2016/2017
En ouverture des Assises, Olivier Pennaneac'h - chargé de l'économie du livre à l'Agence - esquisse un état des lieux de la filière en région (basé sur des données 2016/2017) à travers cartes, tableaux et graphiques. La présentation montre un territoire bien desservi, une plus grande professionnalisation des librairies ainsi qu'une meilleure gestion des équilibres budgétaires. Cependant, le taux de marge reste faible et les charges externes ainsi que la masse salariale ne sont pas toujours financées. Une quarantaine de libraires ont d'ailleurs une situation de trésorerie négative.
Faire vivre le livre dans le territoire : un combat pour les libraires
Co-auteur du rapport La revitalisation commerciale des centres-villes, Pierre-Mathieu Duhamel introduit la plénière du lundi par un constat : la dévitalisation des villes moyennes est un phénomène qui s'aggrave d'année en année. En cause : les centres commerciaux qui se créent et/ou s'agrandissent, et le commerce en ligne qui ne cesse de progresser. En 2015, le taux de vacance en centre-ville est passé de 6,1 % à 10,4 %. Le modèle urbain connu jusqu'à aujourd'hui semble avoir atteint ses limites.
Xavier Moni, président du Syndicat de la Librairie Française (SLF) et libraire à Paris, rappelle la récente traduction d'une étude scientifique américaine abordant plus spécifiquement la menace que représente le site marchand Amazon pour les commerces en tous genres. Le shopping devient une activité solitaire qui s'émancipe des relations sociales. Alors quid du commerce de proximité ? Comment s'adapter au commerce de demain ? Quelles solutions existent ?
Les intervenants à la plénière sont unanimes : les problématiques urbaines sont un combat de plus pour les libraires. Un combat pour lequel ils ont des alliés, à commencer par les maires de certaines communes comme Brigitte Reynaud, maire de Revest-des-Brousses, et Loïc Gachon, maire de Vitrolles, qui soulignent l'importance d'une librairie dans un centre-ville, en tant que lieu culturel participant au lien social. Ce dernier a d'ailleurs réservé la location d'un local municipal à une librairie.
La concertation et les partenariats comme solution
« Ensemble, on est plus forts » : voilà qui résume en une phrase les propositions des intervenants de la première plénière. Pour eux, une concertation est nécessaire entre les acteurs publics (nationaux et locaux) et les acteurs privés afin de mettre en place une véritable « gouvernance territoriale équilibrée ». Cela peut passer par une coordination des acteurs privés autour d'une stratégie locale, la mise en place d'un plan local d'urbanisme intercommunal, la création d'un observatoire de la vacance commerciale et l'harmonisation des politiques publiques d'urbanisme au niveau national. Au cœur de cette concertation : le manager de centre-ville, qui joue le rôle de médiateur entre les pouvoirs locaux et les commerçants. Un acteur de plus en plus plébiscité par les mairies.
Au-delà de la concertation, les partenariats notamment avec les grandes enseignes- s'offrent comme une autre solution. Ces partenariats se matérialisent par des cartes de fidélité, développées par les mairies, avec lesquelles les clients des grandes surfaces cumulent des points ou de l'argent à utiliser dans les commerces du centre-ville. Ces cartes sont un moyen de ramener le consommateur en centre-ville, mais aussi de mieux le connaître puisque le commerçant a accès aux données enregistrées sur cette même carte. Bernadette Bres-Reboul, élue régionale CCIR (Chambres de commerce et d'Industrie Régionales), précise qu'un projet de ce type est à l'étude pour la région. Brigitte Reynaud, quant à elle, a opté pour la monnaie locale, en plus d'avoir gelé les projets d'urbanisation de sa commune. Par ailleurs, pour Catherine Perrin, directrice de la médiathèque de Martigues et présidente de l'ABF Paca, les partenaires privilégiés des libraires restent les bibliothèques : « Nous sommes des partenaires en demande, on se sent responsables de la survie des librairies locales. »
Quelques exemples de librairies alternatives et originales
Pour terminer les Assises en ouvrant le champ des possibles, la seconde plénière propose de découvrir quelques librairies singulières. Il s'agit parfois de trouver un lieu atypique comme pour la librairie/maison d'édition Imbernon ouverte en 2002 par Katia Imbernon dans la 3ème rue de l'Unité d'Habitation de Le Corbusier à Marseille : quoi de mieux qu'un bâtiment classé au patrimoine mondial de l'UNESCO pour une librairie spécialisée en architecture ? Le lieu attire aussi bien une clientèle locale qu'internationale.
Après avoir géré une librairie pendant 14 ans à Antibes, Nathalie Meulemans a ouvert à Nice la librairie Les Indociles qui abrite aussi sa maison d'édition Les enfants rouges et un café/restaurant. Tout cela sur une surface de 36m2 ! Son projet : défendre la bande dessinée indépendante tout en s'adonnant à son autre passion, la cuisine.
Les libraires de La Réserve à bulles (Marseille) ont choisi eux de se renouveler en ajoutant une librairie itinérante à leur activité. Installée dans une ancienne remorque pour chevaux, elle sera inaugurée dès le mois de juin par une tournée des marchés et autres évènements dans les villages de la région.
Jean-Louis Béal et Cédric Lepécuchelle, respectivement président de la librairie coopérative l'Hirondaine (Firminy) et responsable de la librairie Caractères Libres (Aups), ont abordé le statut SCIC (Sociétés Coopératives d'Intérêt Collectif) et ses avantages. La librairie devient alors une entreprise qui appartient aux salariés, bénéficiaires et autres actionnaires avec une gestion démocratique (une personne = une voix). L'Hirondaire, en SCIC depuis 2015, compte 570 associés qui se divisent en comités ou commissions n'intervenant pas dans le travail des deux libraires salariés à temps plein. Pour Caractères Libres, l'aventure SCIC est plus récente puisque les souscriptions sont ouvertes depuis 5 mois (avec des actions à 20 euros). Déjà 130 coopérateurs se sont manifestés, ils devraient se réunir fin mai pour l'assemblée générale constituante. Sans provoquer de changement dans la ligne éditoriale, la SCIC permet aux libraires de développer des projets ambitieux grâce aux moyens supplémentaires et à la manne de bénévoles que représentent les coopérateurs.
Autant de librairies différentes, tenues par des libraires animés par la même passion et la même volonté de proposer un lieu culturel et du lien social à leurs clients. Si les Assises régionales de la Librairie permettent de faire le point sur les difficultés rencontrées par les libraires, elles permettent aussi de voir l'étendue des possibles qui s'offre à eux.