Le contrôle des publications destinées à la jeunesse
Le 01/11/2007
La première publication destinée à la jeunesse daterait de 1699. Les aventures de Télémaque de Fénélon, roman d'apprentissage à la fois pamphlet et traité de morale et de politique, était destiné à former l'esprit du jeune duc de Bourgogne.
Depuis, l'offre extrêmement diversifiée des publications destinées à la jeunesse un public vulnérable a induit la nécessité pour les pouvoirs publics de soumettre ce type de publications à un contrôle de conformité à l'ordre public et aux bonnes mœurs.
C'est ainsi qu'a vu le jour la loi du 16 juillet 19491, instaurant un dispositif juridique unique pour l'ensemble des publications destinées à la jeunesse.
Sont assujetties à cette loi sans distinction, toutes les publications, périodiques ou non qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinées aux enfants et adolescents.
Ces publications ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés de crime ou délit, ou de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques. De plus, elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse2.
Après avoir circonscrit le champ d'application très large de ce dispositif, la loi pose des conditions quant aux entreprises susceptibles de publier ce type d'ouvrages et instaure un régime de déclaration préalable doublé d'un contrôle éditorial strict. Elle prévoit également les sanctions pénales encourues en cas de violation de ces obligations.
Ainsi, les entreprises ayant pour objet la publication ou l'édition d'un ouvrage destiné à la jeunesse ne peuvent exercer que sous la forme d'une association déclarée, ou d'une société commerciale régulièrement constituée (société anonyme, société à responsabilité limitée…).
Elles ne peuvent donc prendre la forme d'entreprise individuelle.
Elles doivent en outre être pourvues d'un comité de direction d'au moins trois personnes, comprenant obligatoirement trois membres du conseil d'administration s'il s'agit d'une société anonyme ou d'une association déclarée, et du ou des gérants s'il s'agit d'une autre forme de société.
Chaque exemplaire publié doit mentionner les noms, prénoms et qualités de chacun des membres du comité.
Ces derniers doivent remplir les conditions suivantes : être de nationalité française ; jouir de leurs droits civils ; ne pas avoir été l'objet d'une mesure disciplinaire ayant entraîné l'exclusion d'une fonction dans l'enseignement ou dans un établissement public ou privé d'éducation ou de rééducation ; ne pas avoir été déchu de tout ou partie des droits de l'autorité parentale ; ne pas avoir été l'objet de certaines condamnations (par exemple pour un délit contraire aux bonnes mœurs) ; ne pas avoir appartenu à la direction ou au comité de direction d'une publication destinée à la jeunesse et frappée de suspension pour une durée excédant deux mois.
La loi met ensuite en place un régime de déclaration préalable au ministre de la Justice pour les publications périodiques. Le directeur de la publication ou l'éditeur doit en effet adresser au Garde des sceaux une déclaration indiquant le titre de la publication, les noms, prénoms et adresse du directeur, des membres du comité de direction, et le cas échéant des membres du conseil d'administration et des gérants, ainsi que la dénomination et l'adresse de l'association ou de la société. Toute modification de l'une de ces informations doit par ailleurs faire l'objet d'une nouvelle déclaration dans un délai d'un mois.
La loi crée en outre une Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l'enfance et à l'adolescence, instituée auprès du ministère de la Justice.
Cette commission, composée d'une trentaine de membres parmi lesquels des représentants de plusieurs ministères, du Parlement, des associations familiales, de l'enseignement public et privé ou encore des éditeurs, dessinateurs et auteurs a pour mission de :
- proposer toutes mesures susceptibles d'améliorer les publications destinées à la jeunesse ;
- signaler toute infraction ou agissement par voie de presse susceptible de nuire à la jeunesse ;
- donner son avis sur l'importation en France de publications étrangères destinées à la jeunesse ;
- signaler au ministre de l'Intérieur les publications susceptibles de justifier des interdictions de parution3.
La mesure la plus sensible de la loi de 1949 est sans conteste l'octroi au ministre de l'Intérieur du pouvoir d'interdire :
- de proposer, donner ou vendre à des mineurs les publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse, en raison de leur caractère licencieux ou pornographique, ou de la place faite au crime ou à la violence, en particulier après signalement par la Commission de surveillance ;
- d'exposer ces publications à la vue du public en quelque lieu que ce soit, et notamment à l'extérieur ou l'intérieur des magasins ou des kiosques, et de faire pour elles de la publicité par voie d'affiches ;
- d'effectuer, en faveur de ces publications, de la publicité.
L'interdiction s'étend aux importations et exportations de publications violant les critères posés par la loi.
Ce pouvoir de censure attribué au ministre de l'Intérieur, et indirectement à la Commission de surveillance, stigmatise la quasi-totalité des critiques formulées contre la loi de 1949 en raison de son incompatibilité par essence avec la liberté d'expression.
Pourtant, l'évolution des mœurs a considérablement affaibli l'influence de la Commission et le contrôle du ministre de l'Intérieur. Ainsi, la dernière interdiction d'un livre aux mineurs date de 19974. De plus, le dernier avis défavorable rendu par la commission en 2002 n'a pas été suivi d'effet5.
Enfin, la preuve ultime de cette perte d'influence est sans doute la publication il y a quelques mois du Dictionnaire des livres et journaux interdits de Bernard Joubert aux Éditions du Cercle de la librairie, réhabilitant les quelque 4 900 livres, revues et journaux bannis au nom de la loi de 1949.
Franck Benalloul et Vaïata Roueche
Avocats au barreau de Marseille
Cabinet Artheo-Avocats