Entretien avec Laurine Roux, en lice pour le Prix littéraire de la Région Sud

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Enseignante de français dans les Hautes-Alpes, Laurine Roux est l’auteure d’un premier roman aux éditions du Sonneur : Une immense sensation de calme (2018). En lice pour l’édition 2019-2020 du Prix littéraire des lycéens et apprentis de la Région Sud, celui-ci a déjà remporté le Prix Révélation de la SGDL.

Dans cet entretien, Laurine Roux revient sur ses inspirations, son parcours littéraire, ses lectures et ses futurs projets.

Depuis quand écrivez-vous ?

J’ai toujours écrit, j’écris quasiment depuis que je lis. C’est vraiment consubstantiel à la lecture : très rapidement je me suis dit que si les gens écrivaient c’était pour écrire les livres qu’ils avaient envie de lire. Je me souviens très bien de me dire, petite, que j’allais écrire les histoires que j’avais envie de lire. Je dessinais beaucoup, je jouais de la musique, je dansais… J’avais besoin de dire des choses, avec le corps et l’art. Tout ça s’est affiné mais ça a mis du temps. Il y a beaucoup d’apprentissages sur le chemin de l’écriture.

Je crois que j’ai vraiment pâti de mes études de lettres, j’étais écrasée par les auteurs que j’admirais. Trouver sa voix sous ces tutelles n’est pas facile. C’est la littérature contemporaine qui m’a aidée et j’ai mis du temps à y accéder. C’est en sortant de mes études de lettres que je m’y suis intéressée. Je me suis dit : on peut écrire avec cette liberté, on peut jouer avec les genres. Ça a été très formateur. Désapprendre les canons de la littérature a été nécessaire mais c’était aussi très instructif, à l’inverse, d’écrire “à la manière de”. Je crois qu’on ne trouve jamais vraiment sa voix. C’est une voix qui contient toutes les voix des textes qu’on a lus, qu’on a aimés, mais il y a une petite musique qu’on se sait personnelle. Avec Une immense sensation de calme, j’ai entendu cette petite musique qui m’appartenait.

Comment résumer Une immense sensation de calme en quelques mots ?

Avec mon éditeur, Marc Villemain (éditions du Sonneur), nous nous sommes rendu compte qu’il était très difficile de résumer le roman. Il est assez fourmillant, avec des histoires dans l’histoire et une construction en poupées russes. Quand nous avons réalisé la quatrième de couverture, on s’est un peu arraché les cheveux pour arriver à tout dire en peu de lignes sans que ce ne soit trop complexe. Pour nous faciliter la tâche, mon éditeur m’a demandé : « Si tu devais choisir entre un et trois mots, qu’est-ce que tu dirais de ton roman ? Qu’est-ce qui est essentiel ? Qu’est-ce qu’il faut retenir ? » Les trois mots qui me sont venus immédiatement, c’est une histoire d’amour, de nature et de mort. Et finalement je crois que cela suffit.

Qu’est-ce qui vous a inspiré cette histoire ?

C’est parti d’une image, tirée d’un souvenir de l’été 2008. Après de longues semaines, un peu contemplatives, sur une plage au bord de la mer Noire, j’avais passé une nuit assez bizarre, très esthétique. Il y avait du plancton dans la mer et, avec des amis, nous nous étions baignés dans un endroit accessible uniquement à pied. C’était un soir de pleine lune avec un ciel hyper étoilé. On se baignait dans une mer luminescente avec les étoiles au-dessus et il y avait une porosité des éléments : le ciel se reflétait dans la mer, la mer se reflétait dans le ciel. C’était un choc sensitif très fort, tellement sublime, à tel point qu’on était hébétés.

Le lendemain, nous avions encore les résidus de ce choc. Un ami regardait la mer devant moi, il avait ses cheveux qui volaient dans le vent, sa marinière qui se confondait avec la ligne de l’horizon, les pieds dans le sable… Il se fondait tellement avec le paysage, j’ai trouvé cette image très belle. Je me souviens m’être dit que c’était la possibilité d’une mort heureuse, que c’était une allégorie de la mort heureuse. Cette image est restée ancrée en moi pendant de longues semaines. J’ai écrit autour d’elle et c’est comme ça que le personnage d’Igor est né, que la géographie d’Une immense sensation de calme est née et, petit à petit, c’est la profondeur historique qui s’est creusée.

Avez-vous eu des difficultés à trouver une maison d’édition ?

Cela n’a pas été facile, le texte a mis huit années pour trouver sa maison d’édition. Huit années où je n’ai pas passé mon temps à chercher. J’ai écrit le roman à 30 ans et il a été accepté quand j’en avais 38. Il y a eu 6 années où je ne m’en suis pas préoccupée, il a sommeillé. J’avais eu un accueil plutôt encourageant des éditeurs dans ma première salve d’envois, des lettres personnalisées, ce que je considérais déjà comme une petite victoire en soi. Il y avait quand même une forme d’amertume à ce qu’il ne paraisse pas, jusqu’à ce que je le reprenne et que je le réécrive en 2016. Je me suis dit : ce texte, je l’aime, il est toujours vivace, il est incandescent, il n’a pas dépassé la date de péremption. Quand je l’ai relu, il m’est apparu une forme de juvénilité, de candeur que j’ai voulu gommer. Et puis, j’avais écrit des choses entre temps. Je l’ai retravaillé et je l’ai envoyé à Marc Villemain qui l’a accepté.

Nous avons énormément travaillé la justesse des mots. La première chose que m’a dit Marc quand on a commencé la réécriture, je ne l’ai pas compris de suite mais c’était un excellent conseil : « salis ton texte ». Il y a l’idée de ne pas vouloir en faire trop, de ne pas vouloir montrer qu’on écrit bien, d’éviter la joliesse. C’est un mot qu’il utilise beaucoup dans un sens négatif : « méfis-toi de la joliesse ». C’est une forme de préciosité. J’ai ôté pas mal d’adjectifs et d’adverbes pour que le lecteur circule plus et que je sois moins maître du texte. À chaque réécriture, j’avais l’impression d’avoir enlevé ce qu’il y avait à enlever et puis quand je m’y replongeais, il y en avait encore… Ça a été un vrai étonnement de me rendre compte à quel point on pouvait le réduire à une substantifique moelle. Le roman est passé de 120 000 à 80 000 signes. Je suis revenue sur tous les mots que j’avais écrits, non parce que ça n’allait pas mais pour me poser la question de la justesse des mots, pouvoir les expliquer. Nous avons changé les temps verbaux et puis le début est passé à la fin… C’était très intéressant, on a pris beaucoup de plaisir à ce travail.

Quand écrivez-vous ?

J’écris beaucoup la nuit, essentiellement pour avoir une longue plage horaire qui me permette de m’immerger dans un univers, celui du texte sur lequel je travaille. J’ai besoin de temps, je suis assez lente et j’ai besoin d’être dans un état un peu particulier pour écrire. J’ai besoin d’être prise par l’histoire, en tous cas d’avoir un désir particulier pour celle-ci. La nuit a ça de confidentiel, elle est un temps de secret, j’ai un peu l’impression que c’est le temps de la parole précieuse.

Le livre que vous offrez le plus souvent ?

C’est rare que j’offre toujours le même livre. J’offre beaucoup de livres mais je crois que je change à chaque fois. C’est toujours associé à une personne, à un moment particulier, à ce que je lis à ce moment-là.
Il y a quand même un livre que j’offre souvent en littérature jeunesse : Une super histoire de cow-boy de Delphine Perret (éditions Les Fourmis rouges). C’est très drôle, l’auteure se moque de l’injonction consensuelle de la littérature jeunesse. C’est l’histoire d’un petit cow-boy avec deux narrations différentes sur les deux pages : la vraie histoire du cow-boy à gauche et l’histoire lissée à droite, où à la place du pistolet le cow-boy va avoir une banane, au lieu de sa battre il va aller faire un cours d’aérobic, etc.

Le livre que vous auriez aimé écrire ?

Le Livre des nuits de Sylvie Germain (Gallimard). Je l’ai lu quand j’écrivais Une immense sensation de calme, ça a été un choc terrible et magique. Déjà parce que ça a coupé l’écriture de mon roman, elle m’a ôté la voix. J’ai eu l’impression de rencontrer un double, des rythmes qui pouvaient me traverser, des mélodies de phrases que je pouvais entendre dans ma tête, des images que j’aurais pu avoir… Je me suis dit : ce n’est pas la peine que j’écrive puisqu’il y a déjà quelqu’un qui a cette voix. Ça a été une drôle de confusion. Elle se permet de mélanger le réel avec un ton fantastique et c’est à partir de là que j’ai commencé à imaginer une lignée fantastique à Igor, c’est grâce à elle. Elle se permet un lyrisme un peu mimétique, épique, mythique que j’ai beaucoup aimé. Je crois que le roman a vraiment pris à ce moment-là, après un long moment de sidération et d’assèchement total de l’écriture, la sensation d’un rapt de ma voix. J’ai quasiment lu tous ses ouvrages et à chaque fois c’est le même effet. Maintenant, j’ai dompté cette sensation, ce n’est plus du tout problématique, au contraire c’est assez impressionnant.

Quelle est votre actualité littéraire ?

J’ai un deuxième roman qui sera publié en septembre 2020, toujours chez les éditions du Sonneur. J’aime bien l’idée de travailler avec les mêmes personnes. Ils ont un travail sur la langue que j’adore, on se comprend et c’est important d’être avec des éditeurs qui nous poussent dans nos retranchements.
Il y a aussi un CD qui va sortir, accompagné d’un texte écrit l’été dernier et qui s’appelle Chant de coton.
En ce moment, j’écris un livret, une pièce théâtrale et musicale, et je travaille aussi sur un troisième roman pour lequel je change complètement de sujet…