Sabine Bouyala

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Une fois n’est pas coutume, Dazibaoprésente une romancière en devenir. AvecCinq, paru cette année aux éditions Joëlle Losfeld, Sabine Bouyala place d’emblée son lectorat en position d’attente.

Non pas que Cinq soit un premier roman. Non, le parcours d’un écrivain se construit bien souvent en marge des labels éditoriaux, dans la durée, ébauche après ébauche, tentative de publication après tentative de publication, jusqu’à ce qu’une porte s’ouvre enfin. C’est Joëlle Losfeld qui ouvre la sienne, offrant à Sabine Bouyala le bonheur de voir son quatrième manuscrit achevé trouver un public. Saluons à cette occasion l’audace et la perspicacité dont l’éditrice fait preuve au fil de son catalogue.

Publier est une démarche douloureuse et nombre de jeunes auteurs en font les frais. Sabine Bouyala n’a pas échappé pas à cette règle et aura rongé son frein plus de huit ans avant que n’opère la vertigineuse magie d’être lue. Bien qu’elle s’y soit préparée, elle se dit surprise par certaines lectures de son livre, dans la presse notamment, et après plusieurs rencontres en librairie, ressent que les lecteurs eux-mêmes lui donnent peu à peu les clefs de Cinq. Certaines clefs en tout état de cause. C’est qu’elles sont plurielles, en cela que le récit entre en immédiate résonance avec ce que chacun de nous lecteurs, nous sommes.

Cinq raconte cinq sœurs. Cinq femmes fraîchement tuées, toutes ensemble, dans un accident de voiture, soudées par un lien de sang si fort qu’au-delà de la vie il les tient toujours. Cinq silhouettes fantomatiques en visitation de leur propre vie, identifiables par le surnom étrange que l’une d’elles, la narratrice, leur octroie : le tison, le silex, la bougie, l’amazone. Dans une langue limpide et soignée, elle cisèle la multiplicité des quatre autres, révèle leur caractéristique la plus forte, leur trait le plus aigu. Cinq raconte aussi le besoin de complicité, de fratrie, d’indéfectible amour dont le réel est trop avare et que seule la folie d’y croire exauce.
L’écriture est visuelle, musicale, le propos singulier, comme l’on dirait d’un certain cinéma d’auteur, de qualité.

Née à Marseille, Sabine Bouyala fait ses études à Aix-en-Provence, puis au hasard de son métier de juriste et de chargée de communication institutionnelle, migre à Paris, Marseille de nouveau, puis Avignon où elle vit aujourd’hui, loin d’une quelconque intelligentsia littéraire. L’exercice de son métier l’ayant parfois entraîné loin des siens, elle « sombre » dans l’écriture et se libère ainsi d’un trop-plein de visions et de pensées foisonnantes. L’hygiène. « On arrête de penser un moment, on écrit, et on passe à autre chose.» Comme un besoin vital, une nécessité impérieuse de créer des atmosphères
particulières, de manier les idées, d’inventer. Perfectionniste, le plaisir du travail d’écriture la saisit aussitôt. Elle se plait à la composition d’un texte et en soigne la musicalité depuis le clavier de son ordinateur, qu’elle compare à celui d’un piano… dont elle joue aussi.

  • “J’aime les gens torturés, les dissonances”

Elle fourmille de thèmes à explorer, tels la grossesse, la photo, la politique qui la fascine, le monde des affaires… N’allez pas croire en effet que vous aurez tout compris de Sabine Bouyala avec un seul livre, les suivants n’y suffiront peut-être pas non plus tant elle affectionne de brouiller les pistes et se fixe de tout explorer. Dans Cinq, elle s’amuse même de ce que l’écriture suppose (de son auteur). Une mise en abyme incarnée par un sixième personnage, la mère, morte depuis 25 ans, romancière que ses filles tentent de deviner en la lisant : « Est venu fatalement, plus tard, le jour où ses livres que nous avions d’abord aimés ont fini par nous révéler l’essentiel : ils ne nous révélaient rien. Rien d’elle, rien pour avant, rien pour après.»

Sans doute le prochain livre publié nous surprendra-t-il par sa différence, sans doute Sabine Bouyala aura-t-elle composé une nouvelle partition de mots dont elle aura pris grand soin de sélectionner chaque note.