La médiathèque intercommunale de Lezoux : un espace social encastré dans son territoire
Publié le
Entretien avec Stéphane Vincent, par Raphaël Besson.
Stéphane Vincent est le directeur de La 27e Région, un laboratoire d’innovation des politiques publiques. Dans cet entretien, il nous décrit un projet de co-construction d’une médiathèque à Lezoux, petite ville située à proximité de Clermont-Ferrand.
Comment s’est déroulé le projet de construction de la médiathèque intercommunale de Lezoux?
Le projet s’est inscrit dans un programme de la 27e Région intitulé « Territoires en résidences ». L’expérience a duré 7 mois, de juin à novembre 2012. Avec trois semaines d’immersion sur place d’une équipe comprenant deux designers de services, une médiatrice culturelle et un sociologue.
Pendant cette période, chaque semaine correspondait à une étape du processus. La première semaine a été dédiée à une phase d’exploration avec la volonté d’aller à la rencontre d’acteurs très divers : habitants, associations, bibliothécaires, bénévoles, personnes éloignées des pratiques de lecture et d’écriture La deuxième semaine, un certain nombre d’hypothèses et d’idées ont été émises puis prototypées à l’échelle 1, non seulement « in vivo » mais également « in situ ». Et la troisième semaine, différents scénarios ont été formulés. Cela s’est clôturé par la réalisation d’un schéma des futurs usages possibles de la médiathèque, restitué auprès de la Communauté de communes Entre Dore et Allier et de ses partenaires.
L’un des enjeux de ce protocole était de préfigurer le fonctionnement futur de la médiathèque. C’est pourquoi le « Point Info Tourisme » de la ville de Lezoux a été transformé en médiathèque éphémère. On a sorti tables et chaises sur le trottoir afin de provoquer des échanges spontanés avec les habitants. On a aussi déployé toute une série de dispositifs comme des murs d’expression, des ateliers participatifs ou des temps de concertation et de collaboration avec les bibliothèques municipales et le collège. L’enjeu était vraiment de mettre le projet de médiathèque sur la place publique.
Qu’est ce que ce protocole vous a permis d’observer sur le territoire?
La semaine d’exploration nous a permis d’identifier une série de noeuds, de problèmes, de besoins, mais aussi des ressources latentes et inexploitées. Premier constant : les bibliothèques et les médiathèques du département fonctionnent selon un système centralisé et essentiellement organisé autour du livre. Le Sujet, c’est le bouquin. Les lecteurs et usagers de la bibliothèque n’apparaissent qu’en second plan. Deuxième constat : les acteurs du territoire souffrent d’un déficit de vision globale et systémique des médiathèques. Certes, les médiathèques ont une fonction culturelle, mais elles peuvent également jouer un rôle social et économique essentiel au territoire. Troisième constat : les bibliothécaires bénévoles ne sont pas intégrés au projet de médiathèque intercommunale. Or ces derniers constituent des acteurs extrêmement intéressants pour penser le fonctionnement futur de la médiathèque, notamment pour organiser le prêt du livre à l’échelle de la communauté de communes. Enfin, d’autres ressources ont été identifiées comme la présence d’une association de sensibilisation à la fabrication libre de bouquins.
À partir des ces différentes observations, quels types de projets avez-vous développés ?
Après avoir identifié ces différents noeuds et ressources, nous avons décidé de les mettre en scène afin d’en débattre publiquement. Nous avons alors développé un premier projet de « malle-médiathèque » itinérante, constituée à partir de livres donnés par les habitants. Ces malles ont permis aux bibliothécaires bénévoles de circuler dans les villages pour recueillir les livres. Au-delà du plaisir que les habitants ont pris à partager leurs ouvrages favoris, cette expérience a présenté un double intérêt. D’abord, le livre ne se réduit pas à un objet, mais il intègre une valeur sociale fondamentale. Ensuite, le rôle des bibliothécaires bénévoles est d’une certaine manière réhabilité, puisque grâce à cette expérience, ils assurent une fonction essentielle de médiation culturelle au sein du territoire.
Autres projets. Un certain nombre d’inquiétudes sur la question du libre téléchargement ont été identifiées. Pour débattre de cette problématique, nous avons construit avec des habitants une cabine de téléchargement numérique en libre accès dans la rue, 24 heures sur 24. Nous avons également profité de la présence d’une association qui incite les habitants à publier et même à fabriquer leurs propres livres pour suggérer l’installation d’un lieu de fabrication au sein de la médiathèque. Pour nous, l’enjeu pour nous était de transformer le lecteur-consommateur en créateur, en lui donnant la possibilité d’imprimer son livre puis de le relier grâce à une relieuse à colle. Il s’agissait également de discuter des possibilités offertes par les techniques d’impression 3D au sein des bibliothèques. Enfin, d’autres projets ont été développés comme le recueil de témoignages sonores d’habitants ou l’organisation de soirées-débats sur la question du logiciel libre et de la place des jeux vidéo dans les médiathèques.
Dans quelle mesure ces différents projets vont-ils être intégrés dans le fonctionnement de la future médiathèque ?
Un certain nombre de services sont en train d’être structurés autour de ces projets. Les habitants ont été sollicités pour prêter leurs livres, et alimenter le fonds des savoir-faire (jardin, cuisine, bricolage) et le fonds participatif. Ces livres voyageront également sur tout le territoire de la communauté de communes grâce à la malle itinérante. Nous avons également produit une carte des usages qui a le mérite de montrer l’ancrage territorial de la future médiathèque. Ce schéma a été conçu avec les habitants qui ont imaginé la médiathèque dont ils rêvaient en dessinant la configuration-même de l’espace dont ils avaient besoin. Ce schéma a par ailleurs fourni à la communauté de communes un outil de dialogue avec l’architecte, complémentaire aux outils de programmation classiques. Tout un travail a été engagé autour de la notion de « maîtrise d’usage ».
Aujourd’hui, je ne sais pas si l’architecte respecte scrupuleusement les orientations de la carte des usages, mais j’ai vu les plans et je suis très confiant. Les médiathèques de demain nécessitent une approche pluridisciplinaire, intégrant des questions d’espace mais également d’usage. Pour revenir à la médiathèque de Lezoux, je pense qu’il sera intéressant, lorsque que la médiathèque sera sortie de terre en 2016, d’inviter les habitants à en aménager l’intérieur, afin d’aider les bibliothécaires à bouleverser un peu leur manière de présenter les ouvrages et les espaces.
Quelle sera la place du livre dans la future médiathèque ?
La place du livre est presque secondaire. Le choix a été fait de se concentrer sur les espaces de sociabilité : espace jeunesse, espace adulte, espace dédié aux fonds participatifs d’habitants, espaces d’accueil. La médiathèque deviendra un véritable espace social avec notamment la présence d’un café-philo, d’un atelier cuisine, d’un coin presse, d’un espace de travail ouvert, d’un lieu de débat et d’un auditorium de 80 places pour les concerts et les conférences. Sous oublier les lieux de fabrication avec l’installation d’un Fab Lab, d’un atelier vidéo et d’un atelier de reliure où l’on produira des contenus culturels. Dans ces conditions, on comprend que le métier de médiathécaire va évoluer. Il s’agira moins de gérer des stocks d’ouvrages que des communautés, des activités, des flux On a d’ailleurs proposé de remplacer la notion de médiathécaire par celle de « fluxthécaire ».
Dès lors, qu’est-ce qui différencie une médiathèque d’un autre espace public, comme les Maisons de service au public ? Ne craignez-vous pas une sorte de dilution de l’identité-même des médiathèques, et in fine une perte de lisibilité ?
On assiste effectivement à une sorte de « tierslieurisation » d’un certain nombre de lieux publics, qui d’une certaine manière sortent de leur fonction initiale, pour agréger de nouvelles fonctions et de nouveaux usages. La future médiathèque de Lezoux n’échappe pas à la règle. Mais elle sera un espace public culturel fédérateur et encastré dans son territoire, un lieu pour jouer aux jeux vidéo, voir des spectacles, participer à des rencontres, apprendre à cuisiner mais aussi un lieu pour lire. La médiathèque deviendra un lieu des liens, tout en restant Le lieu des livres.