Deux influenceuses organisent des goûters littéraires
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Mathilde Schilling, micro-entrepreneuse, et Salomé Romano, cheffe de mission en expertise-comptable, sont deux influenceuses littéraires d’Aix-en-Provence. Connues sous le nom de devoreuse2livres (4 358 abonnés), et letourdumondeen80livres (1 374 abonnés) sur Instagram, elles ont aussi une activité d’animation de cafés et de goûters littéraires.
Gérer un vrai club de lecture et fédérer une communauté virtuelle nécessitent des approches différentes, qui peuvent toutefois s’entrecroiser. Mathilde et Salomé nous expliquent leurs activités et les rapports qu’elles entretiennent avec leurs deux communautés.
devoreuse2livres : J’ai découvert qu’il existait une sphère Instagram dédiée au livre alors que je partageais mes lectures sur mon compte personnel. J’ai donc créé un profil « bookstagram » avec pour objectif de transmettre ma passion. Je reçois souvent des messages de personnes qui se sont remises à lire grâce à mes publications : c’est ça qui est génial avec Instagram. J’ai rapidement eu beaucoup d’abonnés. Puis j’ai été approchée par des éditeurs et des écrivains qui voulaient m’envoyer leurs bouquins pour que j’en parle. Mais j’ai décidé de valoriser seulement les auteurs peu connus et les petites maisons d’édition. Je les aide, à mon niveau, à avoir un peu plus de visibilité. Pour les photos, je m’efforce toujours de créer une mise en scène en rapport avec le sujet ou la couverture du livre. Je n’avais pas envie de visuels lisses, comme en on voit beaucoup sur bookstagram, avec des guirlandes et des bougies, ça ne me correspondait pas. Moi, je lis des polars, je bois du café, je fume, et je ne m’en cache pas !
letourdumondeen80livres : Quand j’habitais à Paris, j’étais inscrite à un club de lecture. C’était très bien, mais je n’arrivais pas m’exprimer suffisamment. Ça m’a donné envie de le faire derrière un écran, non pas pour me cacher, mais pour avoir la possibilité de dire tout ce que je souhaitais. Je trouve que les conseils de lecture sur les réseaux permettent parfois de franchir les barrières : certains lecteurs n’osent pas demander conseil au libraire, de peur de paraître idiots. C’est l’envie d’échange et de liberté d’expression qui m’a poussée à développer mon blog et mon compte Instagram. Mais notre rôle n’est pas de critiquer, je n’ai pas fait d’études littéraires, je n’ai pas les compétences pour cela. Il s’agit simplement de donner notre avis sur quelque chose qui nous a touchés et d’expliquer pourquoi.
J’ai choisi de ne pas montrer mon visage sur les photos que je poste. Aujourd’hui, pourtant, s’afficher sur Instagram, c’est ce qui fonctionne le mieux, ça apporte un côté humain, une présence. Mais pour moi, ça peut desservir l’intérêt du livre.
devoreuse2livres : Je viens de Saint-Canadet, un petit village près d’Aix-en-Provence, qui fait partie du Puy-Sainte-Réparade, où tout le monde se connaît. Ma voisine, qui est adjointe au maire, m’a dit un jour qu’elle souhaitait créer un café littéraire à Saint-Canadet. On a fait un test, qui a bien marché, et on a développé ça au Puy-Sainte-Réparade. Et maintenant, j’en organise un tous les trois mois pour une quarantaine de personnes. Ça fonctionne très bien ! J’essaie de mettre en avant des écrivains de la région et de faire intervenir différents acteurs de la chaîne du livre. Par exemple, j’ai réussi à faire venir Martin Ruat, un auteur aixois, et l’association Vis-à-vis qui crée des livres d’artistes.
Lors de la séance, je présente une dizaine d’ouvrages sur un thème particulier (la rentrée littéraire, par exemple), puis on en discute avec les participants. Au rendez-vous suivant, ils les ont lu et me disent ce qu’ils en ont pensé. Les habitants du Puy ont de la chance : la mairie achète les livres de ma sélection et les met à disposition dans les boîtes à livres.
letourdumondeen80livres : Je parlais déjà beaucoup de livres avec les membres de ma famille, mais je connaissais leurs goûts, et le club de lecture me manquait. J’avais envie de réunir des gens autour du livre, de les pousser à voir au-delà de leurs penchants et de leur offrir de nouvelles perspectives. Lors des goûters littéraires, j’évoque toujours Céline, car j’aime beaucoup cet auteur, mais sans forcément le conseiller.
Mon objectif est aussi de créer un débat, donc c’est bien qu’il y ait au moins huit personnes. L’accueil se fait dans un espace de coworking le “20/35” à Aix-en-Provence. Il n’y a pas de contrainte d’inscription, les participants peuvent changer d’un goûter à l’autre. J’aime l’idée qu’il y ait à la fois des habitués et de nouveaux venus.
devoreuse2livres : Pour l’un comme pour l’autre, je cherche à varier les genres afin de toucher le plus de monde possible. Je propose quand même plus de diversité dans les cafés littéraires que sur mon compte Instagram qui se concentre vraiment sur mes lectures personnelles. Au café, je peux quand même parler de genre que j’affectionne moins, comme le feel-good, parce que je sais que ça plaît.
letourdumonden80livres : Je tente de présenter tous les livres que je lis. En réalité, ma méthode de lecture n’est pas très adaptée : je lis mes livres dans l’ordre de leur achat. Il m’arrive toutefois de déroger à la règle afin de pouvoir parler des sorties actuelles.
Pendant les goûters, nous faisons un tour de table sous forme de débat. Chaque participant apporte jusqu’à trois livres (sur un thème ou non) et peut en parler s’il le souhaite, ou bien seulement écouter les autres. L’objectif est que chacun vienne pour échanger ou simplement repartir avec sa petite liste d’idées de lecture.
Je choisis des livres différents de ceux dont je parle sur mon blog afin de satisfaire tout le monde et que chacun puisse se sentir à sa place. J’utilise aussi beaucoup les livres que les participants apportent.
devoreuse2livres : Déjà, ce n’est pas la même tranche d’âge ! Ce sont surtout des personnes entre 25 et 30 ans qui me suivent sur Instagram, alors qu’il y a plus de retraités au café.
Il faut dire qu’Instagram, ce n’est pas le monde des Bisounours, même pour la communauté du livre ! Certains cherchent à en faire leur métier, ce qui génère une course aux “likes” pas très fair-play, mais pour moi ça reste un loisir.
C’est beaucoup plus intéressant d’échanger en direct avec les gens. J’arrive davantage à communiquer les émotions qu’un livre a pu me faire ressentir. D’un autre côté, j’adore la mise en scène de la photo que permet Instagram. Quand je crée un post, je me régale. Je ne pourrais me passer ni de l’un ni de l’autre. Les deux se complètent, en quelque sorte.
Les lecteurs du café littéraire essaient de comprendre mon activité sur les réseaux mais n’y parviennent pas toujours. Certains trouvent ça génial et se créent un compte pour me suivre !
letourdumondeen80livres : Aux goûters littéraires, c’est moi la plus jeune ! Les participants ont en majorité entre 40 et 60 ans. Au début, je craignais de manquer de crédibilité, mais ça s’est très bien passé. Je n’étais pas seule à parler, il s’agissait d’un échange, l’âge importait peu.
Sur les réseaux, on nourrit plus qu’on ne reçoit. Les goûters, c’est du partage, le rapport est donc moins frontal. Si je devais choisir, je garderais ces rencontres en présence. Je trouve ça tellement enrichissant de découvrir les livres à travers les gens.
Le problème avec Instagram, c’est que les gens sont beaucoup plus exigeants. Si on ne poste pas fréquemment, si notre photo n’est pas assez belle, si on ne parle pas du bon livre, on est constamment jugé. Alors, on cherche toujours à faire mieux. Pour les goûters, il n’y a pas vraiment d’enjeu. Bien sûr, il faut faire venir du monde, mais une fois que le public est là, il fait preuve de beaucoup de bienveillance.