Faire, défaire, tenir : la Fill livre l'acte II de sa « Chronique d'une crise »

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Deuxième volet de la synthèse interrégionale menée par la Fill à partir des données collectées par 9 Agences régionales du Livre auprès des acteurs du livre pendant les confinements.

Au printemps 2020, dans le temps de sidération du premier confinement, neuf agences régionales du livre (dont Provence-Alpes-Côte d’Azur) réunies au sein de la Fill ont mené en pleine crise dans leurs régions respectives des enquêtes auprès des acteurs de la chaîne du livre. Une première synthèse est parue en janvier 2020 intitulée Chronique d’une crise dans neuf régions françaises, Acte I : le choc du confinement.

Le travail poursuivi pendant le 2e confinement donne lieu à une 2e chronique Faire, défaire, tenir, où 80 professionnels partagent leurs bilans, leurs craintes, et les solutions qu’ils ont mis en place sur la durée.

En voici quelques extraits :

Cette nouvelle saison d’annulations et de reports de publications plonge les autrices et auteurs dans de grandes difficultés de trésorerie. « Tous revenus confondus (droits, à-valoir, rencontres rémunérées au tarif de la Charte des auteurs et illustrateurs  jeunesse…),  j’ai  perdu environ 70 % de mes revenus annuels », constate cet auteur des Pays de la Loire. « J’ai reçu une avance sur droits d’auteurs en janvier pour mon nouveau livre, mais sinon, j’ai zéro revenu car il n’y a pas d’invitations, pas de salons, explique cette autrice et traductrice de la région Grand Est. Financièrement, c’est difficile, mais les dispositifs d’aide ont été les bienvenus  aussi  psychologiquement. J’espère survivre matériellement, et écrire malgré la chape de plomb. »

La réouverture des librairies, devenues “essentielles” en février 2021, semble ne pas avoir bénéficié aux structures éditoriales en  région. « Les très gros éditeurs ont valorisé leurs titres à fort potentiel et ont pu produire quoi qu’il se passe. Ils ont capté encore plus de place  dans  les librairies qui devaient également vendre pour renflouer les caisses, estime Arnaud Bizalion, président de l’association Éditeurs du Sud en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Les gros ont pu redimensionner leur catalogue, leur modèle. Nos modèles économiques ne nous offrent pas autant de flexibilité. Quand vous éditez 12 titres par an et que vous n’en sortez que quatre, difficile de tenir ses frais de structures. C’est cette ambivalence permanente entre industrie et artisanat. »

Ce qui était un petit plus dans la commercialisation des ouvrages d’une structure éditoriale en région devient essentiel en temps de crise sanitaire : la vente directe en ligne. « Cette crise le souligne cruellement : les petites structures éditoriales ne peuvent plus compter sur les seules librairies pour porter leurs livres, constate cet éditeur de Provence-Alpes-Côte  d’Azur. Alors nous devons développer de nouveaux outils de vente en direct, via des sites de galeristes, via des blogs spécialisés, via nos propres sites. Tant pis si on perd les aides du CNL. » Et pour les maisons d’édition qui jusque-là n’avaient pas développé de site marchand, c’est aujourd’hui une évidence : « La priorité pour moi aujourd’hui, c’est de mettre en place un service de vente en ligne sur mon site Internet », affirme cet éditeur de Bourgogne-Franche-Comté.

La mobilisation nationale pour la réouverture des librairies lors des deux périodes de confinement en 2020 leur a donné une visibilité inattendue, les lecteurs ont retrouvé le chemin de la librairie, et les bilans 2020 sont souvent bons après une année épuisante pour les équipes.

« On n’ose presque pas le dire, mais ça va super bien ! Le secteur est fragile normalement, mais là c’est exceptionnel. Il y a moins d’une semaine, on avait le rendez-vous pour la présentation du bilan. C’est l’année du siècle et la première fois qu’on peut se partager des dividendes. La trésorerie est florissante. […] Depuis le début de l’année, tous les mois sont en positif. Au premier trimestre 2021, on fait autant qu’au premier semestre 2020. Certes, il y avait un mois et demi de fermeture, mais quand même ! » explique une libraire jeunesse en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Cette période de crise sanitaire amène les organisateurs de festivals et salons à s’interroger sur la pertinence des formats actuels : « J’ai une crainte par rapport aux budgets à l’avenir, il faudra peut-être faire des choix, estime la directrice d’un salon du livre en région Grand Est. Il faut étudier les possibilités d’ouverture sur d’autres partenaires et d’autres financeurs. Il faut peut-être envisager une multiplicité de petits événements dans la durée plutôt qu’un gros salon de 40 000 visiteurs sur quatre jours… »

Les mécènes et sponsors ont d’autres priorités  pour 2021 et 2022
La perte des partenariats privés, qui ont souvent demandé du temps et des efforts pour être mis en place, pèsera également sur les comptes des salons et festivals pour les années à venir. « Nous avons perdu la quasi-totalité du mécénat (Indigo, SNCF, Fondation orange, CIC Est) », constate la directrice d’une manifestation littéraire en région Grand Est. Mêmes difficultés pour le directeur d’un festival littéraire de la même région : « Le mécénat privé est extrêmement compliqué cette année. Nombre de PME  sont impactées économiquement et nous demandent du temps avant de pouvoir nous  accompagner à nouveau. Certains acteurs majeurs voient leurs politiques de mécénat réaffectées sur d’autres champs d’actions : économie solidaire, social, etc. »

N’ayant connu qu’une seule période de fermeture, pendant le premier confinement, les bibliothèques ont assuré le service au public contre vents et pandémie, au prix de multiples adaptations à la situation sanitaire, montrant une réelle capacité à l’innovation culturelle et sociale.

« La particularité des bibliothèques pendant cette crise est d’avoir été maintenues ouvertes, amputées de certains services certes, mais ouvertes malgré tout. […] Cela questionne et redéfinit sans doute le rôle des bibliothèques dans la cité. La crise a en effet ouvert un vaste champ d’exploration et d’expérimentation à l’échelle du pays (voire dans le monde) faisant des bibliothèques des micro-laboratoires de recherche, d’innovation, de modernisation culturelle et sociale. »
Une bibliothécaire de Provence-Alpes-Côte d’Azur

« La crise sanitaire a été un accélérateur de l’offre numérique au sein du réseau des médiathèques et ces possibilités sont tentaculaires, estime ce bibliothécaire de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Nous sommes conscients de la fracture numérique, de l’illectronisme, mais proposer des services, même à distance, aux publics demeure fondamental pour maintenir et consolider le lien. »