La philosophie tout terrain d'Aurélien Alerini

Publié le

Ancien professeur de philosophie, Aurélien Alerini est philosophe itinérant, animateur d’ateliers et conférencier pour petits et grands.

Depuis 2012, il anime des ateliers philo pour des bibliothèques, des écoles et toutes sortes d’associations. Au gré de projets collectifs ou individuels, les séances se déroulent sous forme de débat démocratique : demander la parole, écouter l’autre, argumenter, convaincre ou se laisser convaincre… autour des grands thèmes de la philosophie comme le bien, le beau, la liberté, l’amour, l’amitié, etc. Il s’agit aussi d’amener les participants à remettre en question les idées toutes faites, les préjugés, tout en faisant appel à leur expérience personnelle.

En mars-arvil 2019, Aurélien Alerini est intervenu dans deux foyers de jeunes placés sous main de justice en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il répond ici à quelques questions concrètes sur sa pratique dans le cadre de cette expérimentation  de l’Agence régionale du Livre.

 

Comment en arrive-t-on à animer des ateliers de philosophie ?

Il faut avoir envie de pratiquer la philosophie partout et en dehors du cursus scolaire classique. Cette envie est sans doute née chez moi après l’année de terminale et le vide que j’ai ressenti en me demandant pourquoi on doit attendre la classe de terminale pour faire de la philosophie à l’école. Dans un premier temps, c’est ce qui m’a conduit à m’engager dans des études de philosophie (alors que ce que je voulais à l’époque, c’était construire des robots et les envoyer sur Mars !). De nombreuses années plus tard, j’ai rencontré Marie Agostini qui avait fait sa thèse* sur les ateliers philo et m’a proposé de la remplacer pour animer des ateliers à la bibliothèque de Saint-Cannat. Nous sommes alors en 2012 et depuis je n’ai cessé d’animer des ateliers auprès d’enfants ou d’adultes pour des bibliothèques, écoles et associations de la région (et parfois même au-delà).

 L’apprentissage du philosopher à l’école primaire : analyse d’une expérience d’un atelier de CM2 sous l’éclairage de la pensée de Montaigne*

Faut-il avoir fait des études de philosophie pour animer des ateliers philo ?

Je ne crois pas que ce soit nécessaire, mais cela facilite grandement la posture de neutralité et de laïcité que doit tenir l’animateur. Sans un bagage philosophique, l’animateur peut tomber dans plusieurs pièges : imposer sa propre idée du bien, sa propre morale, ou au contraire son devoir de neutralité peut être perçu comme de l’indifférence. Le débat peut alors facilement virer au cours dogmatique donné par l’animateur ou à la rhétorique, et non plus à la pratique du débat dit démocratique. L’animateur doit faire sienne la maïeutique de Socrate : il n’est pas là pour imposer un raisonnement ou sa solution à un problème, mais poser des questions pour que ses interlocuteurs construisent un raisonnement par eux-mêmes.

Peut-on considérer un atelier philosophie comme un atelier de “pratique” à proprement parler ?

Ces ateliers sont effectivement une pratique de la philosophie, ce ne sont pas des cours – à quelques exceptions près, dont une séance où je me suis retrouvé une petite demi-heure avec un seul participant (ce jour-là, l’atelier s’est finalement déroulé avec 4 jeunes et 3 éducateurs dans le bureau des éducateurs pour parler d’amour !). Mais cette pratique de la philosophie, que l’on peut qualifier de maïeutique socratique, est parfois chahutée par les participants qui ne parviennent pas à tenir en place plus de 5, 10 ou 15 minutes, ce qui est trop court pour construire un raisonnement.

Mélangez-vous public jeune et public adulte ?

Habituellement, je ne préfère pas. Mais ici, dans le cadre particulier des établissements de placement de la Protection judiciaire de la jeunesse, il est important qu’un ou deux éducateurs - ou autres personnels d’encadrement que les enfants connaissent - soient présents et participent eux aussi à la discussion.

Quelle implication peut-on obtenir/demander aux participants ?

Le maître-mot est l’adaptabilité. Il faut donc être prêt à accepter que des jeunes soient un jour complètement réfractaires à la simple discussion, et le lendemain parfaitement ouverts au débat (le confort, les sodas, les bonbons ou même la tisane du soir sont des éléments non négligeables pour avoir leur attention !).

Auriez-vous un moment fort ou une anecdote particulière à nous raconter ?

Plusieurs anecdotes me viennent à l’esprit. Dans chacun des foyers où je suis intervenu, j’ai pu laisser un livre à un participant, un recueil de fables, pour qu’il choisisse un thème pour l’atelier suivant. Ce simple geste a, je crois, créé un lien de confiance mutuelle.

Autre anecdote : quand un enfant s’est approprié le thème de la peur pour parler de ses propres superstitions et croyances gitanes. C’était très fort et à chaque atelier suivant, il a proposé à nouveau ce thème parce qu’il n’avait pas tout dit, là où d’autres s’étaient contentés de lancer “Je n’ai peur de rien” ou “je n’ai peur que de dieu”.

Ou encore quand un enfant originaire de Côte d’Ivoire s’est approprié un conte de Platon pour faire de subtils parallèles entre le sentiment d’impunité du personnage du texte et celui des hommes en Afrique qui se placent au dessus de la justice parce qu’ils ont un pouvoir réel ou mystique (kalachnikov, argent ou grigris).