Les fonds patrimoniaux juridiques en Provence-Alpes-Côte d’Azur, une “énorme mine” pour les chercheurs

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Entretien avec Jean-Michel Mangiavillano, doctorant en Histoire du Droit, au sujet de sa thèse sur le Code Buisson, et sur le potentiel des collections juridiques conservées en bibliothèque.

C’est un des “best-sellers” des manuscrits anciens en Provence-Alpes-Côte d’Azur : régulièrement, dans les fonds patrimoniaux des bibliothèques de la région, le curieux retrouve le nom de “Code Buisson” noté sur de gros volumes. À la clé, des centaines de pages de commentaires de droit romain, recopiées avec attention par des mains toujours différentes… Jamais imprimé, la vie de son auteur a été quasi inconnue pendant longtemps, mais il est présent partout !
Au fil des missions de signalement des manuscrits, ces Codes sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à être recensés sur le Catalogue Collectif de France (CCFr).

Il s’agit du commentaire du Code Justinien par un avocat du Parlement d’Aix, sous l’Ancien Régime, qui s’appelait Maître Buisson. Grâce à ma thèse, j’ai découvert son identité et fait toute sa généalogie.

Le Code Justinien est le recueil de toutes les lois romaines par l’empereur Justinien, au 6e siècle. C’est un des socles du droit actuel puisqu’il était appliqué tel quel dans le Sud de la France jusqu’en 1789, voire même un peu au-delà. Buisson a commenté le Code Justinien en le comparant avec la coutume provençale, c’est-à-dire aux usages locaux retranscrits par écrit, en dehors de la législation royale. Et aussi aux décisions du Parlement d’Aix, et à d’autres sources.

Ce commentaire se fait en suivant les livres et les titres du Code Justinien. Il présente chacune des lois avec une paraphrase et analyse ses usages. Le Code Buisson apparaît donc comme un petit recueil de pratique pour les juristes, qui explique comment appliquer telle ou telle règle.

Les avocats vont citer Buisson jusqu’à la veille de la Révolution Française dans leurs plaidoiries, et reconnaissent l’autorité de cette personne, son opinion a force de loi. Pourtant, jusqu’à récemment, personne ne savait qui il était. Dans les dictionnaires biographiques du 18e siècle, on voit juste apparaître son nom, il n’y a pas son prénom, pas ses dates de naissance et de mort, ni même sa carrière politique.

À l’origine, je voulais tous les lire. Mais je suis à la dernière année de ma thèse et je n’en ai lu que 6, sur 22 découverts ! Donc je me résigne…

Pourquoi tous les lire ? C’est que chacun est unique. Ils sont recopiés par des juristes : à l’époque, les avocats se forment à la pratique judiciaire avec le Code Buisson et d’autres manuscrits. Et en les copiant pour leur usage, ils ajoutent, ils modifient, ils les mettent à jour.

Par exemple, il y a à la bibliothèque universitaire de Droit d’Aix-en-Provence un Code Buisson de 1710 ayant appartenu à André de Barrigue de Montvallon (1678-1779), un juriste très important en Provence. Son fils va conseiller le chancelier de Louis XV, d’Aguesseau, pour l’écriture d’une loi royale, une ordonnance de 1735 sur les testaments. À la bibliothèque Méjanes, j’ai découvert un autre Code Buisson qui date de 1735 et qui cite cette ordonnance. Il a donc été mis à jour !

Par ailleurs, une influence persiste peut-être encore aujourd’hui. Le Code Buisson apparaît en effet dans les Institutes de Jean-Joseph Julien (1704-1789). Il s’agit du commentaire des Institutes de Justinien par Julien, un juriste provençal, qui a fait ce commentaire et l’a intégré dans ses cours à de jeunes juristes. Or, un de ses élèves est Jean-Étienne-Marie Portalis, le rédacteur du Code civil de 1804, qui reste aujourd’hui le fondement du droit français actuel.
Dans une petite sous-partie de ma thèse, je vais donc essayer de montrer qu’il y a peut-être des vestiges des opinions de Buisson dans le Code civil aujourd’hui appliqué.

J’ai découvert le Code Buisson à la bibliothèque universitaire de Droit d’Aix, où je numérisais des documents pour financer mes études. Elle en conserve trois, dont celui de Barrigue de Montvallon.

Après, je suis allé dans les bibliothèques et archives qui l’avaient recensé sur le Catalogue Collectif de France. À Carpentras, il y en a un qui n’est pas sur le CCFr, ni sur leur base de données, il est cité dans le catalogue de leurs manuscrits en ligne, sur leur site.

Il y en a :

  • un à la bibliothèque Vovelle à Aix-en-Provence,
  • quatre à l’Alcazar, dont un très incomplet,
  • un à l’Académie de Marseille, incomplet aussi,
  • un dans les archives municipales de Marseille, que j’ai découvert cette année, et où le rédacteur a dessiné des arbres généalogiques,
  • un à Grasse à la Villa Saint-Hilaire,
  • un à Antibes, qui a survécu à l’incendie de la bibliothèque,
  • un à la bibliothèque de Toulon,
  • deux à la médiathèque de Digne dont un ravagé par le temps,
  • un à Avignon,
  • un à Dijon, dans la BU de Droit de Dijon.

Aux Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, il y en a un en microfilm, l’original a malheureusement disparu. Il est particulier, avec des cahiers recopiés selon différentes dates qui ne se suivent pas. C’est une des singularités des versions manuscrites…

Il y en a aussi un dans le fonds patrimonial de Forcalquier. Ce fonds est très intéressant, parce que c’est la bibliothèque du juriste du 18e siècle. On y trouve même des ouvrages comme le code de Favre, le Codex Fabrianus, alors que c’est un traité de droit du Duché de Savoie.

Enfin, il y a un Code Buisson à Arles, qui date de 1660 et est le plus ancien connu. Il se peut que ce soit le code originel, mais je n’y crois pas.

C’est tant mieux ! Mais c’est embêtant pour moi parce que c’est ma dernière année de thèse. Au début, je n’avais recensé que onze ou douze codes, je me disais que je pouvais tous les lire, mais là…

J’ai découvert ceux d’Antibes et de Forcalquier en mai dernier : je ne savais toujours pas qui était Buisson, j’avais tapé au hasard “code buisson” et “commentaire du code justinien par Buisson” dans le CCFr et ils sont apparus. Ça m’a donné beaucoup de stress : sur une échelle de 100, j’étais à 250 !

Pour un doctorant qui s’intéresse à l’Histoire judiciaire de Provence, je pense qu’il y a une énorme mine, une mine d’or.

Dans les factums juridiques où les affaires judiciaires sont racontées, il y a des relations internationales avec la Sicile, l’Italie, l’Allemagne, l’Angleterre…
Je pense qu’il y a beaucoup de choses à travailler. Même des conflits entre voisins, entre commerçants d’un petit village d’une colline provençale peut faire l’objet d’une thèse, en Histoire du Droit ou en Histoire.

Mais nous ne sommes actuellement que deux doctorants sur ce sujet : Dylan Beccaria, qui écrit sur le droit de grâce dans la Provence du 16e-17e siècle, et moi, même si je suis à l’Université de Lille. Le centre d’Histoire du Droit d’Aix se concentre beaucoup plus sur l’Histoire des idées politiques que sur l’Histoire du Droit.

Il faudrait continuer le recensement, on n’est pas au courant de tout ce qu’il y a. Et se déplacer dans chaque bibliothèque ou service d’archives de chaque ville, de chaque village de Provence, c’est compliqué…

Je pense aussi qu’il serait utile de mettre en ligne des catalogues, des sommaires. Les catalogues du 19e siècle sont intéressants, mais ce qui me dérange, c’est que c’est sur Google Books qu’on les trouve… Souvent ils ont été numérisés par Oxford université, ou autre.

En France, il y a quand même Odyssée, la bibliothèque patrimoniale en ligne d’Aix-Marseille Université, pour laquelle j’avais travaillé, et Tolosana, la bibliothèque numérique patrimoniale des universités toulousaines. Il faudrait continuer à numériser les fonds pour éviter les déplacements, à les valoriser et les comparer avec d’autres recherches.