Aux portes du monde
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Après bien des aventures et des contretemps, la Grande Librairie Internationale de Marseille a ouvert le 1er avril 2024, au cœur du quartier Belsunce, dans le 1er arrondissement. Retour sur la création de ce lieu consacré aux arts, à la littérature et au plurilinguisme, dans un esprit salon de thé et coworking, très attendu et résolument ancré dans son environnement.
Anne-Sophie Crespin vit depuis 20 ans au cœur de la cité phocéenne. Ancienne archéologue au Proche-Orient, après des années dans de grandes entreprises, elle se lance en 2022 dans le montage de sa propre entreprise. Avec une forte fibre sociale (elle est à l’origine du collectif « Zéro SDF » et participe à la naissance du centre culturel Coco Velten…), elle cherche un projet inclusif et engagé, en accord avec ses convictions.
Son vieux rêve, qu’elle partage avec sa mère, c’est un salon de thé cosy, entouré de livres.
« Je vais essayer de faire en sorte qu’on soit dans la librairie comme dans son pays »
Avec son bagage plurilingue (elle parle l’italien, le français, l’anglais et l’espagnol, sans compter ses années de travail dans les pays arabes), Anne-Sophie Crespin relève le défi et ouvre une librairie qu’elle souhaite être un havre de paix.
Après sondage auprès des internautes, elle axe son fonds sur les œuvres en anglais, italien, arabe et espagnol. Son objectif : proposer un assortiment équivalent dans chaque langue avec, certes les titres les plus répandus, mais également un rayon de classiques, de bandes dessinées et de romans policiers. Une partie dédiée au régionalisme est au programme pour mettre les auteurs locaux (très peu traduits) en valeur, mais aussi des guides touristiques, d’escalade, consacrés à la faune…
Car la librairie ouvre ses portes aux Marseillais comme aux touristes de passage, pourvu que chacun s’y trouve chez lui pendant quelques instants. Elle se promet d’être un endroit confortable où se restaurer en lisant.
Il faut en outre souligner l’engagement féministe et LGBTQ+, naturel et essentiel pour Anne-Sophie Crespin, avec un large panel d’ouvrages proposés sur ces thématiques.
Trouver un emplacement où poser ses livres et ses thés, où proposer une bulle pour se rencontrer, échanger, valoriser, prend parfois beaucoup de temps (et d’énergie). Et peut être semé d’embûches !
C’est cet endroit, un ancien hôtel du XIXe siècle, qui donne envie à Anne-Sophie Crespin de tenter l’aventure. Mais le bail est préempté par la municipalité qui lance un appel à projets. Le concept de librairie internationale est finalement retenu en juillet 2022. En septembre de la même année, Marseille Habitat (le bailleur propriétaire) fait expertiser le sol : une menace d’effondrement rôde et le sous-sol est inondable. Des travaux titanesques sont menés pour reconstruire le plancher. La remise des clés sera finalement actée en décembre 2023. Reste les multiples aménagements à réaliser, dont la façade en bois peint violet intense (« la couleur du féminisme, des suffragettes »).
Pendant l’attente du local, Anne-Sophie tient une boutique temporaire dans le Centre Bourse de Marseille, propose des sélections de titres lors d’événements culturels et met en place un site de vente en ligne : sa manière de prendre place dans le paysage du livre.
Accueillie avec bienveillance par ses confrères qui ne voient pas d’un mauvais œil la présence complémentaire de ce nouveau commerce, c’est en installant le bar de ses rêves (chiné dans Marseille et déménagé avec l’aide des passants de Belsunce) qu’elle conforte son intuition : ce lieu ne prendra vie qu’avec son ouverture sur le quartier et sur les lecteurs.
En avril 2024, seul un étage (95m2) est accessible, mais la libraire compte bien terminer l’assainissement et les travaux d’ici fin 2025 pour étendre ses activités sur les 130m2 disponibles.
Malgré ses deux grandes façades encore en chantier, la librairie est fréquentable en l’état. Le fonds qu’Anne-Sophie s’était promis d’avoir à disposition (10 000 ouvrages) n’est pas encore complet, mais la mise en avant du stock fonctionne et l’important pour l’heure sont les envies de partage et les découvertes.
Ouverte du mardi au dimanche pour proposer à chaque « voyageur immobile » un espace où il se sente chez lui, la boutique a déjà mis en place des partenariats culturels (cinéma, théâtres…).
Si, pour l’heure, la libraire est seule aux manettes, elle souhaite faire travailler des personnes réfugiées. Il s’agira de trouver quelqu’un de bilingue parmi les quatre langues représentées, qui soit aussi un amoureux ou une amoureuse des livres. Une ou un lettré(e) étranger qui voudra acquérir une formation et s’intégrer par ce biais-là. Être deux, ce sera avoir une connaissance de la littérature, faire vivre le coin thé, organiser des ateliers d’écriture et animer le tiers-lieu (labellisation obtenue). Celui-ci sera géré par une association support. Les partenaires désireux d’intervenir, animer et utiliser l’espace le pourront, pourvu qu’ils maitrisent l’une des langues et que leur proposition touche à l’artistique.
Recensée en tant qu’entreprise à mission, la librairie verra ses statuts vérifiés tous les ans. De quoi ne pas dévier de ses objectifs premiers : l’accès à la culture et aux livres pour le plus grand nombre, dans leur langue.
En attendant le double étage et son effervescence de projets, les premiers rendez-vous récurrents se construisent d’ores et déjà : contes pour enfants, bookclub mensuel…
Et une grande exposition des portraits d’habitants et commerçants de Belsunce qui sera inaugurée le 16 mai prochain, sous le nom : « Nous sommes Belsunce ». Le résultat du travail du photographe Yohan Brandt. Une autre occasion de découvrir cette nouvelle adresse !