C’est dans la poche !

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Longtemps plébiscité par les grandes maisons d’édition et les grands groupes, le format poche a désormais sa place dans les catalogues des éditeurs indépendants. Une manière de réaffirmer leur liberté et leur identité.

Si la fameuse collection « Le Livre de poche » a fêté ses 70 ans en 2023, ce petit format existe depuis la fin du XVI e siècle, quand des ouvrages suffisamment petits pour tenir au creux d’un vêtement étaient imprimés. À partir du XIXe siècle, il se développe sous l’impulsion de l’éditeur et libraire français Gervais Charpentier et grâce aux progrès techniques de l’impression. En 1838, la « Bibliothèque Charpentier » propose des livres « commodes, élégants et portatifs » à seulement 3,50 F. Quelques années plus tard, Louis Hachette et Michel Lévy lancent également leurs séries à bas prix. C’est aussi à cette époque que naît le « roman de gare ».

Il faudra attendre les années 1950 pour que le poche devienne un phénomène commercial : un livre bon marché disponible dans les librairies, mais aussi dans les kiosques, les stations-service et sur les étals des premiers supermarchés. Les avis sont alors divisés : quand certains dénoncent une mise en danger de la littérature, d’autres encensent une démocratisation de la culture. Dans la seconde moitié du XXe siècle, les grandes maisons d’édition et les grands groupes créent chacun leur collection consacrée. Aujourd’hui, son succès ne se dément pas : en 2022, il représentait 417 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit 15,1 % des ventes de livres (données : Syndicat national de l’édition).

En Provence-Alpes-Côte d’Azur

Les éditeurs indépendants sont de plus en plus nombreux à tenter l’aventure du petit format. Sur 144 structures recensées en région par l’Agence régionale du Livre, une quinzaine ont adopté leur propre collection poche :

  • En littérature, on retrouve Picquier (« Picquier Poche »), Actes Sud (« Babel »), Decrescenzo (« Carré Poche »), mais aussi Red’Active, Elix et Le Mot et le Reste.
  • Côté essai, les éditions Agone ont lancé « Éléments » en 2004.
  • Certains éditeurs choisissent de mêler différents genres, comme les Éditions de l’Aube, avec « Mikrós » (noir, littérature, essais, classique), et Wildproject, avec la « Petite Bibliothèque d’écologie populaire » (littérature, manuels, anthologies, etc.).
  • En poésie, les éditions Unes ont créé la collection “Choix de poèmes” : des anthologies dont les couvertures sont illustrées par un peintre.
  • Spécialisées dans le développement personnel, les éditions Le Souffle d’or comptent seize titres en poche.
  • Rayon sciences sociales et sciences dures, les Presses universitaires de Provence ont la collection « 1… ».
  • En jeunesse, Tom’poche a fondé sa ligne éditoriale sur l’édition petit format d’albums publiés initialement en grande dimension par une trentaine de maisons d’édition partenaires. L’objectif est simple : ouvrir la littérature jeunesse au plus grand nombre avec des ouvrages à partir de 5,50 €. Depuis leur création en 1993, plus de 90 titres sont ainsi rentrés dans leur catalogue.

Indépendance conservée, lectorat élargi

Les collections “Majik” de Leha éditions, “Carré poche” de Decrescenzo éditeurs et “Éléments” des éditions Agone.

Plus récemment, en 2022, est née « Soleils noirs » des éditions du Typhon, qui allie les deux pans de leur ligne éditoriale : la littérature et les textes politiques. Six ouvrages y ont déjà paru. Début 2024, Leha Éditions a ajouté « Majik » à son catalogue dédié aux littératures de l’imaginaire. Elle compte déjà cinq titres. Les éditeurs prévoient de doubler ce chiffre d’ici à la fin de l’année et même de s’ouvrir à l’adaptation de grands formats d’autres maisons d’édition. Ces collections, marquées par l’identité graphique de leur maison, se détachent visuellement des livres de poche aux couvertures plus classiques.

Ces deux structures marseillaises avancent des motivations similaires au développement du format poche. En premier lieu, elles soulignent la volonté de conserver leur indépendance. En évitant de céder leurs droits à de grands groupes, elles gardent ainsi la maîtrise de leur catalogue et de la communication autour de leurs publications et de leurs auteurs. En outre, même si la marge n’est pas très importante, le poche installe le catalogue dans un temps plus long et représente une nouvelle opportunité de promouvoir un titre. En effet, grâce au petit format, les éditeurs s’implantent dans un plus grand nombre de librairies et accroissent leur lectorat.

Preuve que le petit livre bon marché s’adapte au défi du monde éditorial : l’automne 2024 verra naître une nouvelle collection sous le signe de la mutualisation. Les éditions Parole (La Seyne-sur-Mer, 83), rebaptisées Histoires sans Parole, ont choisi de fêter leur vingtième anniversaire en s’alliant à la structure montpelliéraine Plan B Éditions. Ensemble, elles ont lancé « Le Fil », qui leur permettra, ainsi qu’à d’autres éditeurs indépendants, de publier leurs titres en format poche.