Écritures adolescentes

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Alors que le rapport des adolescents Français à la lecture fait régulièrement l’objet d’investigations, une activité parallèle est souvent laissée pour compte : l’écriture. L’association Lecture Jeunesse, qui promeut l’articulation entre les deux pratiques, souhaitait pallier ce manque. Pour cela, elle a publié en novembre 2023 les résultats de son étude menée en 2022 : « Les adolescents et leurs pratiques de l’écriture au XXIe siècle ».

Il s’agissait essentiellement de cerner les habitudes scripturales des 14-18 ans, notamment hors temps scolaire. L’association a ainsi sondé plus de 1 500 sujets grâce à trois méthodes d’entretien, dont l’une permettait une certaine souplesse de témoignage. Son rapport livre donc des clés de compréhension, adressées en particulier aux médiateurs en lien avec le public étudié.
Ses observations sont en rupture avec quelques idées préconçues, notamment sur la relation des jeunes au numérique, plus bénéfique qu’il n’y paraît.

Un décalage dans les représentations

À la question « Dans votre vie de tous les jours, écrivez-vous ? », posée en préambule du questionnaire, 59 % ont répondu « tous les jours ou presque » ; 33 %, « parfois » ; et 8 %, « jamais ». Ces chiffres, que l’on pourrait envisager comme une base solide de l’enquête, ont pourtant évolué au fil de celle-ci. En choisissant de ne pas distinguer les temps scolaire et extrascolaire, l’association a fait jouer les représentations des adolescents, mettant en lumière chez nombre d’entre eux une véritable gêne à se considérer comme scripteurs.
L’influence de la norme scolaire semble jouer un rôle majeur dans cet empêchement. Son approche évaluative est notamment citée comme un frein par plusieurs interviewés, qui mentionnent aussi le rejet de certains usages extrascolaires par leurs enseignants. Les plus confiants dans leur légitimé à se déclarer écrivants témoignent parfois, au contraire, d’un regard bienveillant de la part d’un professeur et soulignent le plaisir qu’ils ont pu ainsi prendre à écrire dans un cadre scolaire.
La difficulté à appréhender la rédaction numérique comme une forme d’écriture a elle aussi une grande incidence sur le fait de se reconnaître ou non scripteur. Les jeunes interrogés ont mis du temps à affirmer écrire, n’envisageant pas d’emblée l’utilisation d’un smartphone ou d’un ordinateur comme une pratique valable. Ils soulignent le caractère légitime accordé à l’écriture manuscrite, à laquelle ils attribuent un « marqueur d’authenticité », mais dont beaucoup se sentent exclus : celles et ceux qui se sont souvent vu reprocher une main difficilement lisible (34 %) et qui se tournent donc vers les outils digitaux, mais aussi celles et ceux qui culpabilisent, ne se sentant pas assez créatifs. Parce qu’ils n’arrivent pas toujours à s’exprimer comme ils le souhaitent à l’écrit, certains ont ainsi verbalisé une forme de frustration vis-à-vis du mythe de la catharsis souvent associé, dans nos imaginaires, à l’exercice de la rédaction.

Des écrits réfléchis, facilités par les outils digitaux

Pour 90 % des répondants, écrire sert à « noter pour ne pas oublier » ; et pour 85 %, à « organiser ce qu’on a en tête ». L’application « Notes » des smartphones occupe ainsi une place majeure dans les habitudes rédactionnelles des jeunes : elle leur permet de répertorier listes ou citations chinées çà et là, et fait office de carnet de brouillon toujours à portée de main. Cet usage du brouillon est aussi manuscrit et surtout extrêmement fréquent, ce qui vient contredire « la représentation d’une écriture adolescente non réfléchie et relevant d’un premier et unique jet ».
Cette réflexion et cette mesure sont également appliquées aux réseaux sociaux. Les interviewés indiquent prendre leur temps et réaliser des ébauches de leurs publications (un sur deux), mais aussi poster plus volontiers des photos que des textes, jugeant ceux-ci trop personnels. Rédiger un texte sur Internet est en effet perçu comme un mode d’expression de soi très intime, c’est pourquoi les messages privés, qualifiés dans l’étude de « don amical », sont très largement privilégiés sur ces réseaux.
La création d’une « technoculture » sur le net apparaît comme un tremplin majeur, car elle « favorise l’autoproduction de contenus et facilite leur diffusion ». Ainsi, 43 % des sondés disent écrire des fanfictions ; 39 %, des chansons ou des paroles de rap ; et près d’un sur trois participe à de la traduction de mangas. Des actions fortement liées à la lecture, mais loin de la simple « reproduction d’univers », que l’association invite les médiateurs à considérer avec respect et à encourager.

Des différences dans les habitudes

L’étude rassurera les pessimistes : ces derniers aiment toujours écrire des lettres à leurs proches, tenir des journaux intimes, inventer des histoires, etc. Cependant, elle met aussi en lumière les divers biais qui limitent, voire enferment les 14-18 ans dans leurs usages.
Sans surprise, l’influence des origines sociales joue un rôle prédominant. Chez les 8 % se déclarant non-scripteurs, certaines catégories sociodémographiques sont plus représentées ; la plupart d’entre eux révèlent ne pas voir leurs parents écrire, pour diverses raisons. Leur rapport à l’école est également à souligner : leurs attentes vis-à-vis de celle-ci en ressortent beaucoup plus fortes. Leur besoin de soutien et de légitimation est un enjeu de taille pour les enseignants.
Enfin, une certaine distinction s’opère selon les déterminismes sociaux liés au genre. Alors que la fréquence de l’écriture n’est pas impactée, la diversité des fonctions qui lui sont attribuées est bien plus grande chez les filles. Elles sont plus représentées dans chaque catégorie d’utilisation, à l’exception des documents professionnels, où les garçons sont plus nombreux de 8 %. Ces derniers sont par ailleurs moins à l’aise avec l’aspect « expression de soi ». Reste à voir si, dans les années à venir, l’écrit numérique permettra de réduire ces écarts et facilitera certaines pratiques pour l’heure négligées.

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