À la question « Dans votre vie de tous les jours, écrivez-vous ? », posée en préambule du questionnaire, 59 % ont répondu « tous les jours ou presque » ; 33 %, « parfois » ; et 8 %, « jamais ». Ces chiffres, que l’on pourrait envisager comme une base solide de l’enquête, ont pourtant évolué au fil de celle-ci. En choisissant de ne pas distinguer les temps scolaire et extrascolaire, l’association a fait jouer les représentations des adolescents, mettant en lumière chez nombre d’entre eux une véritable gêne à se considérer comme scripteurs.
L’influence de la norme scolaire semble jouer un rôle majeur dans cet empêchement. Son approche évaluative est notamment citée comme un frein par plusieurs interviewés, qui mentionnent aussi le rejet de certains usages extrascolaires par leurs enseignants. Les plus confiants dans leur légitimé à se déclarer écrivants témoignent parfois, au contraire, d’un regard bienveillant de la part d’un professeur et soulignent le plaisir qu’ils ont pu ainsi prendre à écrire dans un cadre scolaire.
La difficulté à appréhender la rédaction numérique comme une forme d’écriture a elle aussi une grande incidence sur le fait de se reconnaître ou non scripteur. Les jeunes interrogés ont mis du temps à affirmer écrire, n’envisageant pas d’emblée l’utilisation d’un smartphone ou d’un ordinateur comme une pratique valable. Ils soulignent le caractère légitime accordé à l’écriture manuscrite, à laquelle ils attribuent un « marqueur d’authenticité », mais dont beaucoup se sentent exclus : celles et ceux qui se sont souvent vu reprocher une main difficilement lisible (34 %) et qui se tournent donc vers les outils digitaux, mais aussi celles et ceux qui culpabilisent, ne se sentant pas assez créatifs. Parce qu’ils n’arrivent pas toujours à s’exprimer comme ils le souhaitent à l’écrit, certains ont ainsi verbalisé une forme de frustration vis-à-vis du mythe de la catharsis souvent associé, dans nos imaginaires, à l’exercice de la rédaction.