Héliotropismes, l'édition des marges

Publié le

La maison d’édition marseillaise publie une littérature “des marges” sociales et urbaines et compte 7 titres à son catalogue. À la tête de ce projet depuis 2017 : Renaud Boukh. Ce passionné d’hybridité des genres, de traduction et de recherche documentaire, cherche à valoriser et partager toutes ces facettes avec les lecteurs.

L’éditeur s’est d’abord consacré à la littérature contemporaine d’Amérique latine et du monde hispanophone en faisant découvrir des auteurs et des ouvrages absents du paysage éditorial français (Honduras, Nicaragua…). La publication de Romance in Marseille de Claude Mckay et Princessa par Fernanda Farías de Albuquerque et Maurizio Iannelli révèle ces littératures de la différence. « Dans ces romans, la peinture de la société du XXe siècle, à savoir la condition des populations noires dans les années 30 ou celle des personnes transgenres dans les années 80, met en lumière des thématiques actuelles qui m’intéressent ». 5 ans de travail de recherches d’archives ont été nécessaires pour les publier. Pour le roman de Claude Mckay, l’équipe s’est même rendue jusqu’aux États-Unis pour tenter d’authentifier le texte. Celui-ci avait initialement été retrouvé sous la forme d’un tapuscrit au Royaume-Uni : « C’est un peu comme jouer au détective ! »

Héliotropismes fait le choix d’éditer seulement deux ou trois livres par an, à l’écart du tumulte des circuits de diffusion classiques et pour éviter l’uniformisation de ses ouvrages : « Mon diffuseur ne comprenait pas au début. Il voulait plus de livres, c’est d’ailleurs un important critère pour être diffusé. Mais il a fini par réaliser que les sorties créent une sorte de magie par leur forte médiatisation et le soutien de certaines associations. »

Chant de guerres des choses, Joaquin Pasos

La collection AdamPOLLO, dédiée à la nouvelle et à la poésie, profite d’une fabrication artisanale (papier de couverture en végétaux et pigments naturels) et d’un faible tirage : entre 25 et 30 exemplaires. Ces derniers ne passent pas par un diffuseur et sont uniquement vendus à l’occasion de rencontres. La collection reflète ainsi le processus de fabrication d’un livre : de l’auto-fabrication, à l’auto-diffusion jusqu’aux mains des lecteurs.

La maison d’édition s’applique à dévoiler la vie antérieure de ses ouvrages. L’envie de « refléter le contenu d’un livre à travers l’objet » pousse Renaud Bouckh à faire lire d’une autre manière, en incluant du contenu épistolaire et des archives. Avec Aix-Marseille Université, l’éditeur réfléchit à la mise en ligne, sur son site, des textes et d’une documentation pour chaque titre.

Chaque projet est porté par une dynamique collective. Pour Princessa, par exemple, le travail de traduction, a été réalisé par cinq traductrices, chacune dans une discipline différente : civilisation italienne, traductologie, linguistique… Un choix chronophage mais qui témoigne d’une profonde réflexion menée sur la langue. Ancien universitaire, Renaud Bouckh développe des projets avec différents départements d’Aix-Marseille Université : guidé par des réflexions sur l’objet livre, la langue, la diffusion… Pour le prochain livre de Claude Mckay, il souhaiterait faire participer des étudiants en traductologie.

Héliotropismes défend une littérature périphérique et la singularisation de textes qui traversent les frontières politiques et culturelles.