Comprendre les enjeux

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Qu'est-ce que l'Éducation aux médias et à l'information (EMI) ?

On distingue l’éducation “aux médias” de l’éducation “par les médias”, souvent utilisés comme supports d’apprentissage ou de lecture au sein de l’Éducation nationale. Avec l’éducation “aux médias”, ces derniers sont devenus objets d’enseignement en tant que tels. Il s’agit alors d’étudier la manière dont ils sont construits : qu’est-ce qu’une information, un journaliste, un organe de presse ? Cet apprentissage représente la mission historique du CLEMI.
Le “I” de EMI indique l’information qui entre désormais aussi en ligne de compte dans l’éducation aux médias. En clair, il s’agit d’appréhender l’information dans la diversité de ses conceptions actuelles et des questionnements qui en découlent : comment le numérique a-t-il transformé notre rapport à l’information, avec sa circulation via les médias sociaux ? Comment appréhender la data ?  Ou encore comment mesurer l’influence des algorithmes sur la perception de l’information ? L’EMI va donc bien au-delà de la connaissance du monde médiatique, c’est beaucoup plus large.

Pour y voir plus clair au CLEMI, nous avons distingué quatre compétences à développer dans ce nouveau cadre de l’EMI : savoir chercher, savoir vérifier, savoir organiser, et enfin savoir publier l’information. Avec ces quatre grands champs de compétence, on peut balayer tout ce qui nous intéresse dans ce domaine.

Pour nous, la question de la publication est très forte. L’une de nos missions réside par exemple dans le soutien aux médias scolaires afin d’encourager l’expression, et la liberté d’expression, car nous concevons l’éducation aux médias avant tout comme une éducation critique et citoyenne. Jacques Gonnet, le fondateur du CLEMI, insiste sur ce point : les élèves, futurs citoyens, doivent expérimenter la production d’information. Comprendre comment fonctionne un média passe par la pratique. C’est la démarche de la pédagogie de projet : faire, pour apprendre comment cela fonctionne.

« Avec l’éducation “aux médias”, ces derniers sont devenus objets d’enseignement en tant que tels. »


Quels sont les enjeux de l'EMI au-delà de l'école ?

Le bain et les pratiques médiatiques ne s’arrêtent pas à la porte de l’école. Avec des lieux et des moyens d’accès à l’information de plus en plus nombreux, la télévision à la maison, les réseaux sociaux partout, il faut pouvoir travailler sur l’éducation aux médias et à l’information à tous les niveaux. C’est pourquoi nous nous adressons maintenant aux bibliothécaires, aux services civiques, ou aux animateurs socio-culturels.

Depuis 1983, année de naissance du CLEMI, nous avons développé une expertise sur ces sujets. Aujourd’hui beaucoup de personnes se lancent dans l’Éducation aux médias et à l’information, et tant mieux. Mais le sujet est complexe à appréhender et on trouve des initiatives avec des conceptions différentes. On parle beaucoup des “fake news” par exemple, mais animer un atelier sur les fausses informations sans avoir abordé à la base ce qu’est une information peut vite devenir compliqué à gérer. Ce qui nous importe, c’est de proposer une démarche, une conception de l’éducation aux médias à tout le monde, et donc à l’extérieur de l’école.


Vous formez des formateurs à l'EMI. Car cela ne s'improvise pas…

Durant les stages, on voit des enseignants qui se sont lancés dans des projets, ce qui est très bien, et qui disent aux élèves : allez-y, prenez un micro et allez enregistrer un truc. Je l’ai fait aussi au début. Mais quand on propose cette activité aux enseignants en stage, ils en sont eux-mêmes incapables et se rendent bien compte qu’il a manqué une étape. On pense que c’est un peu magique, que la fabrique de l’information va de soi après quelques séances d’éducation “par les médias”. Mais non, il s’agit vraiment d’un objet d’apprentissage en soi, et il faut créer une didactique autour de cet objet. Au CLEMI national, on s’intéresse à la didactique de l’EMI : c’est une matière à créer, qui n’existe pas encore.


Quelles sont les priorités à engager ?

On travaille beaucoup sur les fondamentaux, c’est-à-dire sur la construction de l’information. Quand on demande aux stagiaires dans nos formations la définition du mot “information”, on a autant de définitions que de stagiaires. Nous travaillons sur ce qu’est une information, comment elle se construit, ce qu’est le travail d’un journaliste : tout cela n’est pas si simple. Il faut savoir que l’information est une construction, que l’objectivité n’existe pas. Ce sont des notions qui peuvent paraître basiques, mais qui sont essentielles quand on veut faire de l’EMI.

Ensuite, on peut aborder l’influence des supports de diffusion sur la construction des contenus de l’information (les “stories” par exemple) ou l’influence du modèle économique sur la production de l’information, un autre volet très important.

L’EMI s’inscrit forcément dans une progression. Par exemple, si on a un groupe pendant deux heures une fois dans l’année, il ne s’agit pas de faire directement fabriquer une infox ni d’emmener d’emblée sur le sujet des fausses théories du complot, mais d’abord - encore une fois - de s’attacher à ce qu’est une information, comment elle se construit. On peut même faire construire des informations aux plus jeunes. Sans cela, le risque est de produire l’inverse de ce que l’on cherche : on introduit ou on alimente un sentiment de défiance qui peut aboutir à la production de petits complotistes, ou de gens qui doutent de tout. « Si l’info peut être manipulée, si nous-mêmes on y arrive, pourquoi ne serait-ce pas le cas partout » ? Certes, le doute est important pour exercer un regard critique sur l’information, on peut - on doit - douter, mais à condition de savoir comment cela fonctionne, après avoir pu décrypter, bref, en connaissance de cause. 

Ce ne sont pas des sujets à prendre à la légère, et on peut être tenté de jouer les apprentis-sorciers. Fabriquer une fake news, pourquoi pas, mais à la fin d’un processus, quand on a déjà bien compris et pratiqué la construction d’une information. Savoir construire avant de déconstruire, c’est ce que l’on fait dans toutes les pratiques, manuelles, artistiques, théoriques : apprendre les bases, savoir comment cela se fabrique pour pouvoir ensuite jouer avec les codes en sachant ce que l’on fait !

« Il faut savoir que l’information est une construction, que l’objectivité n’existe pas. »


Quel peut être le rôle des bibliothèques dans les ressources et outils à mettre en place ?

Par exemple, le guide pratique La famille Tout-Écran que nous éditons est un outil de médiation pour les familles. Il répond à une demande forte pour laquelle il n’existait pas grand-chose. Le ministère de la Culture a été partenaire, ce qui a permis de le distribuer notamment dans les bibliothèques. On a des témoignages de bibliothécaires qui ont organisé des rencontres ou qui ont invité un professionnel, journaliste ou psychologue (en fonction de la question abordée), ce qui a permis de lancer la discussion avec le public sur ces questions.

Donner l’accès à l’information ne suffit plus. Mettre des journaux sur un présentoir ne garantit pas que les gens soient informés correctement. Évidemment, les bibliothèques ont un rôle à jouer dans ce domaine, un rôle complémentaire de celui des enseignants ! Beaucoup d’initiatives sont prises. Ce qui semble plus complexe, c’est d’organiser des projets suivis : souvent on fait de l’EMI quand on peut, de façon ponctuelle lors d’un atelier unique. Pour sensibiliser c’est déjà une première étape. Pourtant s’inscrire dans le temps long permettrait de bénéficier de la fameuse progressivité liée à l’éducation aux médias et à l’information. Et en bibliothèque, le fait de pouvoir accueillir des publics différents - jeunes, actifs, personnes âgées - est une richesse. Le numérique a transformé les vies de tous : qui ouvre un journal papier aujourd’hui ? On peut confronter les pratiques, réunir des gens différents, mettre en place des ateliers intergénérationnels par exemple, où chacun pourrait donner son point de vue sur une information. Dans ce sens, à Sevran par exemple, le projet QRpedia a réuni des habitants autour du constat que l’article Wikipedia de leur commune manquait de contenu. Ils ont créé des fiches sur des personnalités, des lieux architecturaux ou historiques de la ville, puis ont conçu une balade avec des QR codes permettant d’accéder à ces articles en fonction des lieux concernés. 


Quelles ressources peuvent être adaptées en bibliothèque ? 

Le CLEMI n’a rien édité spécifiquement pour les bibliothèques car ce n’est pas le public cible, mais ce que nous proposons est adaptable. Quand il s’agit de faire de la production médiatique par exemple, on peut indifféremment lancer l’atelier dans une salle de classe ou dans une bibliothèque. Un enseignant et un bibliothécaire auront des contenus différents en fonction de leurs objectifs bien sûr. Mais en réalité il existe une grande proximité entre un bibliothécaire et un professeur documentaliste ayant des missions à la fois de transmission et de diffusion de ressources. D’ailleurs de nombreuses collaborations existent déjà.


Les éditeurs de ressources, fiches-ateliers, jeux, guides consacrés à l'EMI sont nombreux. Et la production continue... Comment s'y retrouver ?

Avec les programmes de soutien - à l’édition notamment - lancés par le ministère de la Culture dans ce domaine, on trouve beaucoup de ressources et à notre avis, il y a du bien et du moins bien. Certains concepteurs nous sollicitent pour obtenir la “marque CLEMI”. Nous coproduisons des contenus avec l’association Jets d’Encre, FranceTV Éducation, Arte, Radio France. D’ailleurs nous constatons une prise de conscience assez grande dans le secteur médiatique sur le fait qu’il y a beaucoup de choses à mettre en œuvre autour de ces questions. En dehors du CLEMI et de nos partenaires, certaines structures produisent des contenus de qualité dédiés à l’éducation aux médias et à l’information. C’est notamment le cas des Fédérations d’éducation populaire telles que les Francas et la Ligue de l’enseignement. Ce qui est plus dérangeant, ce sont les contenus proposant des solutions toutes faites, ce qui va un peu à l’encontre de la démarche de l’EMI où il n’existe pas de “recette”.


Vous ne croyez pas à une éducation aux médias "clé en main" ?

Non, je crois plutôt au “cousu main”. Et nos ressources sont conçues dans ce sens : nous donnons des clés et les personnes averties ou formées peuvent refaire à leur façon. Si les notions ne sont pas maîtrisées, les fiches et contenus ne suffiront pas, un peu comme une partition pour un non-musicien, ce pourquoi une formation est nécessaire. Toutes nos publications sont accessibles en ligne , librement utilisables et téléchargeables. Par ailleurs, afin que l’on puisse mieux s’y retrouver, nous travaillons à proposer un “cadre”, une sorte de “certification” pour que notre vision, la vision du CLEMI, soit claire.


À votre avis, les projets et initiatives en matière d'EMI sont-ils amenés à se développer davantage ?

Oui, on a enfin pris conscience qu’avoir accès à l’information ne suffisait pas à être bien informé, et tant mieux. S’informer correctement, c’est un vrai travail d’apprentissage. On a longtemps pensé, comme avec le numérique, qu’il suffisait de savoir se servir de l’outil, mais ce n’est pas le cas. S’informer, ça s’apprend ! Cette idée commence à se développer.


« S'informer, ça s'apprend » : qu'est-ce que cela vous évoque ?

En formation, quand j’aborde la question des réseaux sociaux, souvent les personnes présentes mesurent vraiment pour la première fois ce qu’on y trouve, et apprennent que c’est aujourd’hui la principale source d’information des jeunes, des 15-35 ans. Cela signifie que les réseaux sociaux ne sont pas uniquement des “réseaux” sociaux, mais aussi des médias sociaux, et qu’il faut les étudier, les appréhender comme on le ferait d’un journal. Ce n’est pas une évidence pour tous, c’est même souvent une découverte, et pas uniquement en lien avec un “fossé générationnel”. Avec la circulation via les smartphones, on a désormais une relation individuelle à l’information, on a moins accès à ce que fait l’autre, et les pratiques informationnelles intéressantes ne sont pas transmises, d’où l’importance de développer une éducation aux médias et à l’information pour tous.