L'encadrement légal

Publié le

Par Pascal Reynaud, avocat au barreau de Strasbourg, 2020.

La création d’une œuvre sonore induit, sur le plan juridique, des conséquences originales quant à l’acquisition des droits sur le livre audio et quant à l’exploitation de celui-ci par l’éditeur.

L’auteur et l’artiste-interprète sont à la source du livre audio et cèdent leurs droits à un éditeur pour que celui-ci publie et diffuse le livre auprès du public.

Les titulaires initiaux de droits : auteur et artiste interprète

L(es) auteur(s) du livre audio 

Comme le livre imprimé, le livre audio est une œuvre de l’esprit qui, sous condition d’originalité, est protégé par le droit d’auteur. Le ou les créateurs du texte écrit en sont juridiquement les auteurs avec l’ensemble des conséquences que le Code de la propriété intellectuelle (CPI ci-après) y attache.

L’auteur dispose du droit d’autoriser la reproduction (la copie) et la communication au public de son texte que celui-ci soit lu ou imprimé. En parallèle, l’auteur dispose d’un droit moral qui comporte principalement le droit au nom et le droit au respect de l’œuvre. Ainsi, il n’est pas possible « d’anonymiser » un livre et/ou de le modifier sans l’accord de l’auteur.

L’artiste-interprète

De manière tout-à-fait singulière par rapport au livre imprimé, le livre audio nécessite la présence d’un artiste-interprète (sauf si l’on a recours à une voix de synthèse). Juridiquement, l’artiste-interprète est la personne qui récite le texte de l’auteur (art. L. 212-1 CPI). Il se voit reconnaître des droits et des prérogatives assez proches de l’auteur.

Lorsque l’auteur lit son propre texte, ce qui est plutôt rare en pratique, il cumule les deux qualités d’auteur et d’artiste-interprète. Mais, le plus souvent, l’auteur et l’artiste-interprète sont des personnes distinctes.

En l’absence d’autoédition du livre audio, l’éditeur fera l’acquisition des deux droits distincts auprès de l’auteur et de l’artiste-interprète pour éditer le livre audio.

La cession des droits à l’éditeur

Le contrat d’édition est l’outil habituel par lequel l’éditeur encadre son projet éditorial et fait l’acquisition des droits. Les spécificités du livre audio portent sur le périmètre de la cession et sur la rémunération des titulaires de droits.

Le périmètre de la cession dans le contrat

Pour céder valablement les droits de l’auteur du texte à l’éditeur pour la réalisation du livre audio, le contrat devra mentionner expressément et précisément l’exploitation et l’adaptation sous forme de livre audio avec une diffusion sur support physique (livre-CD) ou par téléchargement et streaming (livre numérique dématérialisé) au bénéfice de l’éditeur. À défaut de ces mentions, l’auteur garde la possibilité de céder cette exploitation à un tiers.  

En pratique, les éditeurs envisagent le plus largement possible les exploitations et adaptations, en incluant le livre audio. Dans ce cadre, les auteurs ne sont pas toujours informés au préalable de l’édition spécifique du livre audio. Ils découvrent alors cette exploitation dans le cadre de la reddition annuelle des droits.

Le droit de l’artiste-interprète se cède selon la même logique de spécialité des exploitations précisées au contrat. La finalité de l’exploitation de l’enregistrement en tant que livre sonore doit être précisée dans un contrat écrit.  À défaut, le droit sur l’enregistrement sonore n’est pas cédé à l’éditeur.

La finalité étant autorisée par les ayants droit, elle doit aussi être associée à une rémunération.

La rémunération pour la publication du livre audio

Pour que les contrats produisent leurs pleins effets, une rémunération proportionnelle de l’auteur doit être fixée dans le contrat d’édition. Elle sera, sauf exception, un pourcentage (entre 6 et 12 % en pratique de manière similaire à l’édition classique) sur le prix de vente au public hors taxe, sans originalité par rapport au livre imprimé (CPI, art. L. 131-4). En l’absence de clause de rémunération pour l’auteur, l’éditeur sera dans l’obligation de négocier un avenant avec l’auteur pour la publication spécifique d’un livre audio et il ne peut « forcer » cette publication.

L’artiste-interprète a aussi droit à une rémunération pour toute utilisation de sa prestation qui doit être distincte pour chaque mode d’exploitation. Le contrat d’enregistrement doit donc mentionner l’exploitation en tant que livre audio. Mais la rémunération proportionnelle aux ventes, contrairement à la solution retenue pour les auteurs, n’est pas impérative (CPI, art. L. 212-3). Pour l’artiste-interprète, la nature de la rémunération est particulièrement complexe à déterminer. Les rémunérations sont soit des salaires soit des redevances selon les cas. Il s’agira d’un salaire lorsque l’artiste participe à l’enregistrement, toutes les fois où sa présence physique est requise. À l’inverse, la rémunération proportionnelle aux ventes est une redevance d’exploitation lorsqu’elle est prévue par le contrat.


L’exploitation par l’éditeur

Dès lors que les contrats sont signés, l’éditeur a le droit d’exploiter l’oeuvre sous forme d’un livre audio. Lorsque le livre est un élément secondaire du contrat d’édition pour l’ouvrage imprimé, l’éditeur n’a pas l’obligation de publier effectivement l’ouvrage sonore, même si cette option est prévue au contrat. Par contre, si le contrat porte principalement sur le livre audio, l’éditeur est soumis à l’obligation de publier (CPI art. L132-11 CPI & LL132-17-5) et de procéder à l’exploitation permanente et suivie du livre audio (CPI art. L.132-12 & L132-17-2).

L’éditeur pourra exploiter directement l’oeuvre sonore ainsi obtenue, ou faire exploiter le livre audio par un éditeur tiers, plus spécialisé. Le contrat d’édition prévoit généralement cette possibilité avec une remontée des revenus de l’éditeur audio vers l’éditeur principal, puis vers l’auteur et une ventilation des rémunérations à chaque étape.

Un second contrat commercial d’exploitation des droits entre éditeur et « sous » éditeur audio est alors conclu en parallèle. Dans ce cas, l’éditeur principal reste responsable vis-à-vis de l’auteur du versement de sa rémunération et du respect du contrat initial. Les conditions de la sous-cession sont en principe limitées par ceux du contrat principal, mais la coordination du contrat d’édition et du contrat de sous-cession peut présenter des difficultés techniques (durée et périmètre d’exploitation, rémunération, etc.). Cette sous-cession est un contrat commercial classique qui n’est pas spécialement réglementé par le Code de la propriété intellectuelle. Les éditeurs sont placés sur un pied d’égalité contractuelle contrairement au contrat d’édition dont la réglementation est très précise afin de protéger l’auteur. Il conviendra toutefois dans le cadre de cette sous-cession de bien délimiter le périmètre d’exploitation autorisé, les droits et obligations des parties, ainsi que les différentes clefs de répartition des revenus générés par le livre audio. 

L’éditeur et son sous-cessionnaire veilleront à ne pas dénaturer l’oeuvre dans son esprit et dans sa forme afin de ne pas porter atteinte au droit moral des titulaires de droits dans le cadre de l’adaptation de l’oeuvre imprimée vers l’oeuvre sonore.

Lorsqu’un livre traduit en français doit faire l’objet d’un enregistrement audio, l’éditeur fera l’acquisition des droits de traduction en français auprès des ayants droit (le plus souvent l’éditeur étranger) en visant expressément l’exploitation au titre du livre audio. La traduction sera confiée à un traducteur littéraire également protégé par un droit d’auteur. L’éditeur fera alors l’acquisition des droits sur l’œuvre dérivée que constitue la traduction au travers d’un contrat de traduction.

Afin de protéger les petites librairies, le livre imprimé bénéficie d’un prix unique (loi Lang 1981), sauf si l’enregistrement est l’accessoire d’un livre imprimé (livre-CD), car la loi Lang n’encadre pas le prix du livre audio stricto sensu.

L’article 35 de la loi de finances pour 2020 réécrit la définition de “livre bénéficiant du taux réduit de 5,5 %” pour viser dorénavant l’ensemble des livres audio (CGI, art. 278-0 bis, A, 3°, modifié). Cette disposition vise à harmoniser le traitement de l’ensemble des livres audio au titre de la TVA, qu’ils soient enregistrés sur un support physique ou fournis sous forme dématérialisée par téléchargement.

L’exploitation non autorisée par les ayants droit du format audio d’un livre est une contrefaçon (1) . Dès lors, la mise à disposition des livres audio sur les plateformes de téléchargement est interdite et lourdement sanctionnée (CPI art. L335-2). Par exemple, la lecture audio publique par un système de voix de synthèse est très probablement  illégale en l'absence d'autorisation des ayants droit .

La gestion collective et le livre audio

Certains droits d’auteur font l’objet d’une  gestion collective . La gestion collective est une modalité du système du droit d’auteur qui impose ou permet aux titulaires de droits de les administrer par l’intermédiaire d’une organisation de gestion collective (SOFIA, SCAM…). Plusieurs droits sont gérés collectivement concernant l’édition :

  • Le droit de copie privée perçu sur les supports vierges d’enregistrement (art. L311-1 et suivants CPI pour les auteurs,  L 211-3 2° du CPI  pour les droits voisins) : Copie France est désormais l’unique interlocutrice des redevables de cette rémunération, à savoir les fabricants ou importateurs des supports d’enregistrement. La répartition des montants collectés est effectuée par les organismes de gestion collective entre les auteurs, les producteurs et les artistes-interprètes (pour aller plus loin  copiefrance.fr  ).
  • Le droit de prêt en bibliothèque (art. L.133-1 CPI) : les droits sont versés directement par la SOFIA (Société Française des Intérêts des Auteurs de l’écrit) aux auteurs qui en sont adhérents ou via l’organisme de gestion collective qui les représente. Pour les auteurs non répertoriés par un organisme de gestion collective, le versement est effectué indirectement par la SOFIA, via leurs éditeurs (pour aller plus loin  la-sofia.org  ). Par exemple, lorsqu’une médiathèque achète des livres audio, l’argent transite par des marchés publics, par l’intermédiaire d’un grossiste ou d’un libraire. Le libraire fait alors une déclaration qui permet de reverser le droit de prêt via une société de gestion collective, soit directement, soit par le biais l’éditeur. Dans le cas des livres audio tirés d’un livre numérique,  la TVA étant harmonisée au taux réduit de 5,5% , il n’y a plus à s’interroger sur le périmètre de ce droit de prêt qui comprend maintenant le livre audio [4] .
  • L’exception pédagogique (art. L122-5 3° e. CPI) : l’exception pédagogique autorise les enseignants à reproduire et à diffuser des extraits d’ouvrages à des fins pédagogiques, sans autorisation des ayants droit, dans des conditions assez strictes et en contrepartie du versement d’une rémunération forfaitaire. Le CFC est chargé de la gestion de ce dispositif et verse les droits d’auteur collectés à l’éditeur, à charge pour ce dernier d’en reverser une partie aux auteurs. Certains éditeurs appliquent le taux de répartition retenu pour la reprographie et d’autres appliquent le taux contractuellement prévu pour les cessions à des tiers, le plus souvent 50 % pour l’auteur, 50 % pour l’éditeur. (Pour aller plus loin  cfcopies.com/copie-pedagogique )
  • Le droit de reprographie (art. L 122-10 CPI) : ce droit ne concerne pas stricto sensu le livre audio qui ne fait pas l’objet de photocopies. Le CFC se charge aussi de la gestion collective sur une base volontaire du droit de reproduction numérique (pour aller plus loin  cfcopies.com )

Interview de Laure Saget, directrice d’Écoutez Lire (groupe Madrigall), réalisée par Cécile Palusinski dans le cadre de la Semaine du Livre audio organisée par l’Agence régionale du livre Provence-Alpes-Côte d’Azur du 23 au 26 novembre 2020.


(1)  CJUE, 3ème Chambre, Arrêt du 18 octobre 2018, Affaire nº C-149/17