Auteur scientifique versus éditeur scientifique : un conflit potentiel ?

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Les exceptions au monopole des titulaires du droit d’auteur sont peu nombreuses, mais la tendance est à la hausse. Généralement, le législateur prolonge la liste existante de ces exceptions qui figure à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle.

Avec sa loi du 7 octobre 2016 dite “pour une République numérique”, le législateur a choisi le Code de la recherche pour mettre en place une brèche importante au droit d’auteur, pour le plus grand plaisir des tenants de l’open access.

Ainsi, selon l’article L533-4 du Code de la recherche :

« I.- Lorsqu’un écrit scientifique issu d’une activité de recherche financée au moins pour moitié par des dotations de l’Etat, des collectivités territoriales ou des établissements publics, par des subventions d’agences de financement nationales ou par des fonds de l’Union européenne est publié dans un périodique paraissant au moins une fois par an, son auteur dispose, même après avoir accordé des droits exclusifs à un éditeur, du droit de mettre à disposition gratuitement dans un format ouvert, par voie numérique, sous réserve de l’accord des éventuels coauteurs, la version finale de son manuscrit acceptée pour publication, dès lors que l’éditeur met lui-même celle-ci gratuitement à disposition par voie numérique ou, à défaut, à l’expiration d’un délai courant à compter de la date de la première publication. Ce délai est au maximum de six mois pour une publication dans le domaine des sciences, de la technique et de la médecine et de douze mois dans celui des sciences humaines et sociales.
La version mise à disposition en application du premier alinéa ne peut faire l’objet d’une exploitation dans le cadre d’une activité d’édition à caractère commercial.
II.- Dès lors que les données issues d’une activité de recherche financée au moins pour moitié par des dotations de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des subventions d’agences de financement nationales ou par des fonds de l’Union européenne ne sont pas protégées par un droit spécifique ou une réglementation particulière et qu’elles ont été rendues publiques par le chercheur, l’établissement ou l’organisme de recherche, leur réutilisation est libre.
III.- L’éditeur d’un écrit scientifique mentionné au I ne peut limiter la réutilisation des données de la recherche rendues publiques dans le cadre de sa publication.
IV.- Les dispositions du présent article sont d’ordre public et toute clause contraire à celles-ci est réputée non écrite ».

On le voit, les conditions de cette exception sont très drastiques.

  • toutes les œuvres ne sont pas concernées, seuls les écrits scientifiques le sont ;
  • il s’agit d’écrits issus d’une activité de recherche financés pour moitié par des fonds publics ;
  • il s’agit d’écrits publiés dans des revues, à l’exclusion des livres et ouvrages, donc.

À ces conditions seulement, le droit d’auteur peut être remis en cause. L’objectif est de permettre une plus large diffusion des résultats de la recherche “subventionnée”.

Cette nouvelle loi choque les juristes, puisque l’auteur d’un tel écrit scientifique ne peut se voir empêcher par son éditeur de « mettre à disposition gratuitement dans un format ouvert, par voie numérique (…) la version finale de son manuscrit acceptée pour publication », quand bien même il lui a cédé l’ensemble de ses droits par contrat ! Ce qui veut dire que la loi autorise l’auteur… à s’affranchir du contrat qu’il a signé avec son éditeur. Étrange que les éditeurs ne se soient pas élevés contre une telle disposition qui remet en cause les principes de la liberté contractuelle.

L’auteur n’a tout de même pas tous les droits. Il faut distinguer deux situations.

Si l’éditeur met le texte de l’auteur gratuitement à disposition du public par voie numérique, l’auteur peut également faire de même, et ce sans délai.

En revanche, dans le cas où l’éditeur met en place une diffusion payante, l’auteur devra attendre quelques mois avant de mettre son article gratuitement en ligne : six mois à compter de la première publication « pour une publication dans le domaine des sciences, de la technique et de la médecine » et douze mois « pour une publication dans le domaine des sciences humaines et sociales ».

Si l’auteur, qui n’a pas contracté avec un éditeur, met volontairement en ligne son écrit, l’article L533-4 du Code de la recherche prévoit que sa réutilisation par un tiers est libre. Cela est contraire aux règles du droit d’auteur qui impose la demande d’autorisation à l’auteur qui n’a pas indiqué que son texte est en “libre accès”.

La loi met ainsi en place les conditions du “libre accès”, encore appelé “accès ouvert” ou “open access”, si cher aux détracteurs du droit d’auteur. Vertueux pour certains, ce texte fragilise un peu la relation auteur/éditeur puisque il invalide un certaines dispositions du contrat d’édition.

© Vincent Schneegans, avocat à Marseille, pour l’ArL Provence-Alpes-Côte d’Azur, 2017