Des "Livrets" pour dire le monde
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À l’approche de leur 30e anniversaire, les éditions de L’Amourier ont donné naissance à une nouvelle collection.
En 2015, pour les vingt ans de la maison, un virage éditorial vers le politique est pris avec la création de Bio, qui regroupe aujourd’hui huit ouvrages. On y retrouve des biographies mais aussi un Dictionnaire de la Commune (Bernard Noël) ou encore des écrits personnels, comme Sous la dictée de Franz Fannon (Marie-Jeanne Manuellan). Jusqu’alors, L’Amourier s’intéressait principalement aux romans et à la prose courte. Le besoin de se diversifier et de traiter de thèmes sociétaux est alors apparu puis s’est amplifié tout au long de la dernière décennie. Une « nécessité de dire » (sous-titre du dernier ouvrage publié, Points de suspension) qui a mené l’équipe à sa dernière série, Livrets.
Le fondateur, Jean Princivalle, définit la genèse des deux premiers recueils comme un concours de circonstances. En 2021, il réfléchit avec sa collaboratrice Bernadette Griot, à la forme que doit prendre les dernières réflexions sur notre temps de Bernard Noël, alors décédé cette année-là. Ambitieux de les rendre accessibles au plus grand nombre, ils s’inspirent de celle des tracts peu chers et légers, « qui peuvent circuler », et font paraître La place du regard en 2022.
Quant aux Points de suspension, deuxième titre sorti en début d’été 2024, c’est la guerre à Gaza qui en est à l’origine. « Nous n’avions pas forcément prévu de publier si tôt un nouvel opus, mais c’était impossible de ne rien faire dans un tel contexte. Ici encore, c’est l’actualité qui s’impose », explique Jean Princivalle. À la suite des évènements du 7 octobre 2023, le tout premier auteur publié chez L’Amourier, Michaël Glück, poste des chroniques entrecoupées par des points de suspensions sur son compte Facebook. Il y écrit à propos « de la violence du monde, de l’ignominie de l’histoire, de l’horreur absolue du présent ». Ses éditeurs, qui viennent alors de recevoir des textes poignants de l’autrice palestinienne Olivia Elias, organisent une rencontre entre les deux plumes pour leur proposer une collaboration. Leurs voix se rejoignent avec une rare justesse dans ces 70 pages de poésie traversées par leur colère et leur si grand sentiment d’impuissance. En témoignent ces vers d’Olivia Elias dans Normalité, concept ésotérique, son deuxième poème du recueil :
« ici tout est normal absolument normal
a-normalement normal
frigo rempli eau chaude & froide au robinet
pharmacie à proximité chambre où dormir
& se reposer au calme ».
Le prochain projet n’est pas encore annoncé ni même réfléchi, « il s’imposera probablement à son tour ». Après un déménagement des locaux vers leur domicile, les propriétaires souhaitent ralentir le rythme de publication, qui tourne aujourd’hui autour d’un titre par an. Bientôt trente années de création et d’exigence, et toujours ce sincère amour des livres.