Bibliothèques : les dés sont jetés…

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Laurie Damien et Marion Demonteil Mouleyre sont toutes les deux bibliothécaires jeunesse en charge de l’animation des espaces jeu et jouet de leur structure. Dans cette interview croisée, elles nous présentent leur carrière et la particularité de leur métier à deux faces.

Laurie Damien :
Je suis bibliothécaire jeunesse depuis 12 ans au sein de la médiathèque de Saint-Martin-de-Crau. Il y a quelques années, je me suis aperçue qu’au niveau de l’action culturelle, le jeu commençait à monter en flèches dans les demandes des usagers. Comme nous n’avons pas de ludothèque dans notre ville et que les premières sont à 20 kilomètres, j’ai souhaité fréquenter le centre national de Formation aux Métiers du Jeu et du Jouet (FM2J) qui est à Lyon. J’ai choisi un enseignement court et diplômant qui se déroule sur quelques jours avec un stage et une soutenance. Cela m’a permis de comprendre comment je pouvais amener et gérer un espace ludique en bibliothèque.
Aujourd’hui, je mets en pratique des moments récréatifs autant que de lecture. C’est une compétence très appréciée.

Marion Demonteil Mouleyre :
J’ai été bibliothécaire en section jeunesse pendant plusieurs années. À Vitrolles, nous avions une ludothèque avec plus de 7 000 références et lors de l’inauguration de la médiathèque La Passerelle en 2016, il y a eu une fusion entre les deux structures. Le projet portait sur une interaction complète des médias avec des collections mélangées, sauf que nous nous sommes rapidement trouvés en difficulté car les usages sont très différents selon si on veut jouer, étudier ou lire. C’était compliqué pour le personnel et les usagers de s’y retrouver. Il y avait un manque de formation et la place du jeu avait été pensée selon le point de vue des bibliothécaires uniquement. La responsable de la ludothèque a décidé de quitter le service et j’ai repris la responsabilité de ce pôle. Toutefois, ce n’est pas pareil d’aimer lire ou d’aimer jouer, et d’être bibliothécaire ou ludothécaire donc j’ai également fait une formation au FM2J en 2021. J’ai choisi l’option qui a lieu une semaine par mois pendant 9 mois avec un stage et une soutenance.

Marion Demonteil Mouleyre : À Vitrolles oui, sauf ceux sur console.

Laurie Damien : Nous ne sommes pas une ludothèque donc nous ne faisons pas d’emprunt. En revanche, on organise des actions temporaires sur des thématiques différentes, comme ça a été par exemple le cas en février avec le numérique. La semaine dernière était, quant à elle, consacrée aux 0-3 ans.

Laurie Damien : Oh oui ! Pour faire notre métier, il faut retrouver son âme d’enfant !

Marion Demonteil Mouleyre : Si non, ce serait comme un bibliothécaire qui n’aime pas lire, ce serait compliqué.

Marion Demonteil Mouleyre : C’est trop récent pour que je m’en rende compte mais on voit des problématiques qui apparaissent à l’identique dans le monde du livre. Il y a de plus en plus de parutions donc un tri plus important à faire avec une politique documentaire à réfléchir. Il y a des forces économiques plus importantes qu’avant. C’est une industrie qui devient de plus en plus concurrentielle avec des petits acteurs qui sont rachetés par les gros.
Cependant, je ne trouve pas que ce soit plus compliqué. Il y a justement une volonté de toucher une population plus large et de proposer autre chose que des parties de plusieurs heures avec des règles complexes. On peut sortir du Monopoly, de la Bonne paie mais rester très accessible.

Laurie Damien : Je suis d’accord avec Marion, il y a une offre qui est absolument formidable. Après, je ne rencontre pas forcément ces problématiques là puisque n’ayant pas les ressources, je fais avec celles de la Bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône. Ce sont eux qui font le travail documentaire et les achats. Pareil pour les jouets, je fais avec les moyens du bord, en glanant et en fonction du public.

Marion Demonteil Mouleyre : En ce moment à Vitrolles, nous développons le thème des « Indiens ». Quand les usagers entrent, ils se retrouvent dans une ambiance avec un tipi, des poissons, un espace « pêche »… Il y a tout un travail de création qui est important et qui n’existe pas dans le métier de bibliothécaire.
Les achats sont aussi complexes. Pour le livre, on commande tout dans la même librairie et je peux trouver facilement les références via Électre ou un autre site.
Concernant mon autre casquette, trouver un fournisseur demande beaucoup de recherches et c’est assez chronophage. De plus, le matériel (pions, plateaux, dés…) exige un entretien et une gestion plus importante que les ouvrages. Si dans un paquet, il manque 3 cartes, plus personne ne peut s’en servir.

Laurie Damien : J’ai réussi à faire l’acquisition d’un Quarto géant en bois, qui a l’avantage de plaire à beaucoup de monde. On l’a installé dans l’espace adolescents, qui est sur une mezzanine. Toute la médiathèque est en open space et la difficulté a été de trouver le point d’équilibre entre le fameux silence, souhaité par beaucoup d’usagers, et la possibilité de jouer.

Laurie Damien : Grâce à la médiation proposée par l’animateur, il y a un dialogue qui se fait avec les gens. Tout se passe bien. Et même, au contraire, après leurs lectures, ils viennent voir, ils sont curieux.
À Saint-Martin-de-Crau, nous avons vu arriver un public différent. Il y a des familles qui ont profité de la matinée sur les jouets 0-3 ans pour faire un tour et finalement, s’inscrire, par exemple. Nous sommes une petite médiathèque dans une petite ville et il y a encore cette image du temple du savoir qui est bien présente.

Marion Demonteil Mouleyre : À Vitrolles, il existait déjà la ludothèque, donc les usagers ont vite pris l’habitude.
À La Passerelle, nous avons un espace ludique à part. Cela nous permet d’avoir des lieux calmes et d’autres un peu plus bruyants.
Des assistantes maternelles vivant dans d’autres communes viennent profiter de ces espaces. On a aussi des joueurs adultes qui ne sont pas forcément de Vitrolles et qui empruntent pour tester. Ils profitent d’une offre qui n’existe pas partout. Cet effet « test » est aussi une différence notable avec l’emprunt d’ouvrages.
Pour le livre, il faut forcément maitriser la lecture, l’écriture ou la langue française et ce n’est pas abordable pour tout le monde. Alors qu’avec le jeu, même s’il y a beaucoup de dominantes culturelles, personne n’est mis à l’écart. Nombreux sont ceux qui se comprennent par observation et n’ont pas de texte ou ont des règles dans plusieurs langues.

Laurie Damien : Autant en terme d’animation que personnellement, j’utilise et je joue à toute la gamme Unlock! Ce sont des cartes et les parties s’inspirent des escape rooms.
L’amener en médiathèque a été un pur régal. On a d’ailleurs organisé une nocturne avec toute une ambiance. À partir de 12 ans, en famille, c’est vraiment super. Des jeunes ne se déplacent que pour les animations Unlock!

Marion Demonteil Mouleyre : Il s’agit de Nekojima, qui est plutôt chouette en animation. Cela fait appel à des compétences qui ne sont pas forcément sollicitées ailleurs. On est sur une petite île qui est formalisée par une tuile ronde en carton et on doit construire le circuit électrique. Il y a des batônnets en bois reliés par des fils de couleurs qu’on doit placer et, comme c’est l’île des chats, il faut placer des félins sur les fils sans les faire tomber. C’est assez esthétique et ça peut se jouer à tout âge.

Laurie Damien : C’est surtout informel. Mais ça mériterait d’être fait. Par exemple, j’aimerais avoir des puzzles cet été à la médiathèque, mais n’ayant pas de discussions avec des pairs, c’est difficile de savoir comment la mettre en place.

Marion Demonteil Mouleyre : L’Association des Ludothécaires de France (ALF) organise des journées professionnelles et les structures peuvent être adhérentes. Mais en tant que bibliothécaires, il y a peu d’espaces. Il existe tout de même une commission “jeu” au sein de l’Association des Bibliothécaires de France (ABF) dont je fais partie. Elle est assez récente et nous travaillons justement sur une fiche pratique pour le puzzle en médiathèque. Même si on est plus dans une dimension nationale, et moins dans le côté pratico-pratique, il y a une volonté de conseiller et d’accompagner les collègues. La réalisation d’un document pour l’harmonisation des pratiques est d’ailleurs en projet entre l’ABF et de l’ALF.
Ce travail ne peut pas se faire sans les ludothécaires. C’est un métier à part entière.