Fab lab en bibliothèque : un nouveau pas vers la refondation du rapport à l’usager ?

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Article de Marjolaine Simon et Marc Maisonneuve publié dans le BBF n°6 (juillet 2015). Reproduit avec l’aimable autorisation de Marc Maisonneuve.

Depuis plusieurs années, le phénomène Fab Lab s’est emparé du territoire français. Au cœur de nombreuses journées d’études et d’événements autour de la culture du « Faire » (Make), le Fab Lab et ses équipements envahissent peu à peu les bibliothèques à l’occasion d’animations ponctuelles mais aussi en tant que service innovant et souhaité pérenne. Face à ces nouveaux usages, les bibliothécaires s’interrogent.

Portrait du Fab Lab

Inspiré du cours « How to make (almost) everything », dispensé au sein du MIT, Massachusetts Institute of Technology, par Neil Gershenfeld dans les années 1990, le « Fabrication Laboratory » est un lieu physique permettant la fabrication numérique. Régulièrement défini comme une plateforme de prototypage d’objets grâce à des machines à commande numérique et machines-outils, le Fab Lab s’apparente à un lieu d’expérimentation, ouvert et accessible à tous. L’essor des Fab Labs se précise dans les années 2000 et le phénomène s’ancre en France dès 2011, de nombreux citoyens s’impliquant dans des structures de cette nature.

Si certains rapprochent l’émergence du phénomène des Fab Labs d’une lutte contre la société de consommation et l’obsolescence programmée, il s’agit avant tout de permettre à toute personne de fabriquer un objet répondant à un besoin individuel grâce à l’utilisation de machines habituellement présentes dans l’industrie. Vu par d’autres comme une nouvelle révolution industrielle à l’initiative des « makers », le Fab Lab est également une donnée à prendre en compte dans la sphère économique puisqu’il fait appel au partage et à la participation de ses différents utilisateurs (y compris le crowdfunding ou financement participatif) pour assurer sa pérennité.

L’essor des Fab Labs s’inscrit également dans la mise en commun des savoirs permise par le web et les réseaux sociaux, le coeur-même du Fab Lab étant l’idée de partager les connaissances et compétences tout en favorisant la sérendipité, la découverte par hasard de nouvelles idées. Rapproché des phénomènes du DIY – « Do It Yourself » – et DIWO – « Do It With Others » –, le Fab Lab met en avant la collaboration entre utilisateurs pour le bénéfice de tous. Ce partage doit également être assuré par la diffusion facile et quasi automatique des savoirs au moyen de documents sous Creative Commons permettant à chacun de s’informer et de reproduire les projets, souvent réalisés avec des logiciels Open Source. À ce titre, internet est perçu comme l’outil d’interconnexion des Fab Labs dans le monde entier, permettant que les idées soient documentées et propagées.

Enfin, le Fab Lab est avant tout un lieu d’expérimentation ouvert à tout individu, qu’il soit artiste, entrepreneur, retraité ou simple curieux. Conçu pour favoriser l’innovation, le Fab Lab n’est pas contraint par un cadre fixe, ce sont ses usagers qui le construisent au quotidien et le font évoluer. Lieu de rencontres et de partage, le Fab Lab fait partie des espaces « HOMAGO », terme utilisé pour désigner les trois usages principaux envisagés mais non exclusifs : Hang-Out, le fait de traîner, source de lien social qu’il soit physique ou virtuel ; Mess Around, le fait de bricoler et de « dé-ranger » ; et Geek Out, le fait de chercher de l’information et des compétences dans un domaine d’intérêt spécifique.La caractéristique principale des usagers du Fab Lab est la volonté de « hacker » ou bidouiller, c’est-à-dire de comprendre le fonctionnement des dispositifs dans le but de les reproduire et de les détourner afin de créer de nouveaux objets ou de nouvelles idées. En cela, les Fab Labs sont à rapprocher du mouvement libriste qui vise non seulement à développer des initiatives en Open Source permettant de redistribuer les contenus, d’accéder à leur code et de les faire évoluer, mais aussi et surtout à explorer les logiciels afin de les améliorer et de les diffuser librement dans de nouvelles versions répondant aux besoins de certains utilisateurs. Le Fab Lab contribue également à l’« empowerment » ou capacitation, rendant les individus capables de davantage d’actions et d'autonomie.

Pour garantir l’harmonie des services placés sous l’étiquette Fab Lab, le MIT a mis en place une charte que toute structure souhaitant bénéficier du label Fab Lab doit respecter. Cette charte, disponible sur le site du MIT, est reprise par de nombreux pays à travers le monde (la charte originelle en anglais : fab.cba.mit.edu/about/charter).

À ce jour, 542 Fab Labs dans le monde sont « d’appellation MIT », dont 56 en France. Les Fab Labs d’appellation MIT sont porteurs de quatre valeurs principales, à savoir : l’ouverture, le respect de la charte, le partage et l’implication dans le réseau des Fab Labs afin d’échanger, par exemple par des vidéo-conférences. Si à ce jour il n’existe aucun contrôle de l’usage de l’appellation Fab Lab, certaines structures ont fait le choix de s’auto-évaluer afin de définir leur respect actuel de la charte et les points d’amélioration à envisager.

En pratique, un Fab Labsera donc un lieu accueillant des machines-outils et des équipements informatiques permettant de dialoguer avec ces machines, mais aussi l’équipement de base de tout bricoleur (perceuse, fer à souder…). La liste des machines à mettre à disposition des utilisateurs n’est pas exhaustive et peut très bien être adaptée à chaque Fab Lab, à son public et/ou à sa spécialisation le cas échéant6. Toutefois, il est utile de rappeler ici que l’imprimante 3D, souvent perçue comme l’élément central et emblématique du Fab Lab, n’est pas l’outil le plus intéressant pour la création numérique et que seulement 20% du temps d’usage constaté dans un Fab Lab relève de l’imprimante 3D, le reste des projets s’appuyant sur d’autres machines. Une liste des machines recommandées est disponible sur le site du MIT et peut inspirer les établissements tentés par l’aventure Fab Lab.

Toutefois, un Fab Lab ne saurait exister sans personnel dédié, le rôle de ces personnes étant non pas d’animer des ateliers, mais de participer avec les usagers aux expérimentations et de faciliter l’usage des outils disponibles. Dans cette optique, de nouveaux métiers7 sont apparus pour désigner ces médiateurs aux multiples compétences et fonctions, capables d’aider les usagers mais aussi d’être à l’écoute de leurs projets et de leurs besoins. Ces personnels sont également des éléments clefs pour l’animation du réseau des Fab Labs au niveau national et à l’international.

Enfin, le Fab Lab est caractérisé par son ouverture au public, le but étant de s’adapter aux besoins de la communauté utilisatrice. Ainsi, il n’existe pas d’amplitude horaire type ou de consignes strictes, l’essentiel étant d’être ouvert afin de favoriser les usages et les échanges.


Extrait de l’article de Marjolaine Simon et Marc Maisonneuve publié dans le BBF n°6 (juillet 2015). Reproduit avec l’aimable autorisation de Marc Maisonneuve.