Remixer les bibliothèques, un processus nécessaire ?

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Entretien avec Yves-Armel Martin, par Raphaël Besson, le 19 février 2016. Yves-Armel Martin est directeur du laboratoire d’innovation ouverte Erasme. Il est également co-fondateur de l’événement Museomix. Dans cet entretien, il décrit plus en détail ses travaux d’expérimentation des nouveaux usages du numérique dans les domaines de l’éducation et de la culture.

En quoi consistent le Museolab d’Erasme et l’événement Museomix ?

Le Museolab d’Erasme a été créé en 2005 dans le département du Rhône pour imaginer de nouveaux usages du numérique pour les musées. Des pistes innovantes sont prototypées au sein du Lab, confrontées au regard des professionnels avant d’être expérimentées « in situ » auprès des publics. Notre mission ne s’achève donc pas à la production d’un prototype, mais aborde la question du retour des utilisateurs. Les premiers ressentis permettent de faire évoluer les dispositifs, et in fine de valider ou non les scénarios. Notre objectif est de créer de nouvelles interactions avec les visiteurs, et d’inventer de nouveaux modes de transmission des connaissances. Pour cela, on constitue des équipes diversifiées qui comptent autant d’artistes, de développeurs, que de médiateurs ou d’enseignants.

À côté du Museolab, nous avons co-initié en 2011 l’évènement Museomix, avec notamment l’agence Nod-A. Pendant quelques jours, on transforme un musée en espace d’expérimentation. Des codeurs, des médiateurs culturels, des conservateurs, des designers et des amateurs se rassemblent en équipes pluridisciplinaires et doivent réinventer en s’appuyant sur les technologies numériques – la scénographie ou la médiation des œuvres de leur choix. Ces expériences sont particulièrement intenses puisqu’en seulement trois jours on développe de très nombreuses idées, que l’on prototype et que l’on teste ensuite auprès des publics.

Les expériences de Museolab et de Museomix me semblent assez similaires. Qu’est-ce qui les différencie ?

J’ai récemment écrit un article, Des Mix et des Labs, où j’essaie justement d’expliquer cette différence. Le format Mix correspond à une méthode évènementielle. Il permet d’explorer rapidement des pistes nouvelles, de constituer et d’animer une communauté, voire de transformer certaines organisations. Les méthodes Labs s’inscrivent sur le long terme afin de créer de nouveaux usages, produits ou services.

Au-delà de ces différences, les Mix et les Labs ont des points communs essentiels. Ce sont des démarches d’innovation ouverte, qui s’appuient largement sur les visiteurs et les nouvelles technologies numériques. Elles sont également complémentaires : les Mix créent des dynamiques qui mobilisent des compétences, et développent de nouvelles idées. Les Labs permettent de transformer ces idées en outils et services opérationnels.

Dans quelle mesure les démarches des Mix et des Labs peuvent-elles s’appliquer à d’autres espaces, et en particulier aux bibliothèques ?

Les méthodes des Mix et des Labs deviennent très populaires depuis quelques années. On voit le développement et l’émergence de variantes dans différents domaines : Biblioremix, MaisonMix, HackMyChurch, Garemix… L’an dernier, nous sommes par exemple intervenus à la gare Saint-Paul à Lyon. L’idée était d’inventer en trois jours de nouvelles manières de vivre la gare pour la rendre plus pratique, plus ludique, plus belle ou plus agréable. Différents participants (du « geek » au riverain) ont « remixé » la gare et imaginé de nouveaux aménagements et de nouveaux services (application numérique, dispositifs interactifs).

Dans le domaine des bibliothèques, les évènements Biblioremix en restent au stade des scénarios d’usage et ne développent pas de prototypes opérationnels à la différence des Museomix. Cette seconde étape est en réalité très lourde et complexe à gérer car il faut se doter d’une véritable usine avec des codeurs, des bidouilleurs, des Fab Labs… Dans le domaine des bibliothèques, le Labo de l’édition expérimente de nouvelles pratiques de lecture et d’écriture. Quant au Labo BNF, il s’agit peut-être davantage d’un showroom que d’un laboratoire d’innovation ouverte.

Avez-vous développé une expérimentation spécifique au sein d’Erasme sur le cas des bibliothèques ou des nouvelles pratiques de lecture ?

Le Petit Fablab d’Écriture est un atelier de fabrication physique et textuelle mis en place dans le cadre des Assises internationales du roman à Lyon. Sous la tente des libraires, on a installé un Fab Lab ainsi que des systèmes collaboratifs pour que les lecteurs écrivent à plusieurs et éditent eux-mêmes leurs livres. Plusieurs médiateurs étaient présents pour aider ces écrivains amateurs ou confirmés dans leur démarche d’écriture et de fabrique collaborative. Une dizaine de nouvelles ont ainsi été écrites par une cinquantaine d’auteurs différents.

À travers ces différents exemples, on voit bien que les méthodes des Mix et des Labs sont transposables au cas des bibliothèques. Dès lors, quels seraient les principaux points de connexion entre les Labs et les bibliothèques ?

Les Mix et les Labs sont des méthodes de conception qui invitent à faire un pas de côté pour réinterroger son organisation, son fonctionnement, sa mission. Les bibliothèques sont aujourd’hui confrontées à des transformations multiples. Celles du livre dans ses supports et ses modèles économiques, celles de l’écriture et des nouveaux modes de narration transmédia, celles des publics qui sont profondément marqués par la culture numérique et de nouveaux modes de production et de consommation culturelle.

On comprend par conséquent l’enjeu pour les bibliothèques de s’approprier de nouvelles méthodes pour se positionner face à ces évolutions.

Mais la réflexion doit être globale. Elle ne peut être réduite à la question de l’attractivité des publics au sein des bibliothèques, et notamment des jeunes. Il doit exister une réflexion plus générale sur les nouveaux modes d’écriture et d’accès aux livres et aux collections. Ces méthodes doivent également permettre de changer le regard que les bibliothèques portent sur leurs publics.

La mutation des bibliothèques en Labs vous semble-t-elle constituer un processus nécessaire ?

Non, certaines bibliothèques peuvent évoluer en tiers lieux, envisager d’intégrer de nouvelles fonctions et usages. Elles ne sont pas forcément condamnées à devenir à tout prix des laboratoires d’innovation. Par contre, elles doivent continuer d’être à l’écoute de leurs publics, de l’évolution des modes de vie.