Les créateurs face à l’IA : enjeux et perspectives
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Par Patrice Locmant, directeur général de la Société des Gens De Lettres (SGDL).
Présentation des premiers résultats d’une enquête inédite réalisée par la SGDL et l’ADAGP, qui a permis de mieux comprendre l’usage que certains auteurs de livres et des arts graphiques et visuels font aujourd’hui de l’IA, ou pourraient en faire demain, ainsi que leurs attentes et appréhensions à l’égard de ces nouveaux outils de création. Patrice Locmant a présenté également la solution technique développée par la SGDL pour permettre aux auteurs du livre de manifester leur droit d’opposition à l’utilisation de leurs œuvres par des IA.
« Au printemps 2024, nous avons lancé une enquête auprès des membres de la société française de perception et de répartition des droits d’auteur dans le domaine des arts graphiques et plastiques (ADAGP) et de la SGDL, qui visait à mesurer l’impact des IA génératives sur l’activité et les revenus des artistes auteurs de l’écrit et de l’image, le niveau d’information dont ils disposent, l’utilisation qu’ils font de ces outils ou encore les opportunités ou les menaces ressenties. Le profil des répondants est, à peu près, représentatif de la répartition des artistes-auteurs dans les différents secteurs de la création, avec cependant une très forte participation des traducteurs.
60 % des répondants estiment que l’essor de l’IA représente une menace pour leur activité professionnelle.
« Parmi les auteurs de l’écrit, les traducteurs apparaissent de très loin comme les plus préoccupés par l’essor de l’IA ».
79 % d’entre eux estiment qu’elle représente un risque pour leur activité alors qu’ils ne sont que 56 % chez les auteurs « non traducteurs » (+24 points). Seulement 11 % des traducteurs estiment que l’IA peut être une opportunité pour leur activité, alors qu’ils sont 26 % chez les autres auteurs. Le secteur de la traduction, technique et littéraire, a été le premier investi par des logiciels de traduction tels que DeepL ou autre. L’inquiétude apparaît assez vive également chez les illustrateurs, dont 78 % estiment que l’IA représente une menace.
40 % des répondants déclarent avoir déjà utilisé un outil d’IA dans le cadre de leur activité de création. Ils sont 30 % chez les illustrateurs de bande-dessinées ou auteurs d’illustrations. Les auteurs du livre sont 52 % à avoir effectué des recherches avec ce procédé et 27 % ont généré un texte. Les 2/3 des artistes auteurs estiment que la manière dont l’outil a répondu à leur attente était satisfaisante.
3 % ont déjà signé un contrat d’édition leur interdisant l’utilisation de tout outil d’IA.
86 % des répondants, tous secteurs confondus, estiment qu’il est urgent de mettre en place un label ou une information obligatoire sur les œuvres à destination des consommateurs. 65 % du panel se déclarent strictement opposés à laisser leurs œuvres être utilisées par des IA, à quelques conditions que ce soit. Alors que 34 % seraient prêts à y consentir contre une rémunération juste et équitable. 16 % des artistes auteurs disent avoir déjà constaté une baisse de leur activité artistique liées à l’utilisation concurrente d’outils d’intelligence artificielle. Cette proportion est nettement plus marquée chez les traducteurs (+ 40 %). 45 % des auteurs qui ont noté un impact de l’IA sur leur travail, ont également ressenti un impact sur leur rémunération, à la baisse. 27 % trouvent que l’IA joue un rôle dans les délais de remise des projets éditoriaux ou artistiques demandés par leurs diffuseurs, les éditeurs étant plus exigeants.
Outre les résultats de cette étude, le SGDL travaille sur la solution « opt out », qui est une option de retrait. Sur la plateforme de protection juridique des œuvres, dénommée Hugo, nous allons développer un nouveau volet « opt out » où les auteurs pourront autoriser ou interdire l’utilisation de leurs manuscrits. C’est aujourd’hui le seul levier qui permettrait d’enclencher une négociation. L’idée est de rétablir un rapport de force. Nous avons vraiment besoin que les auteurs expriment leur volonté de ne pas apparaître dans les bases de données des moteurs IA aujourd’hui. S’ils ne le font pas, les acteurs de l’IA ont légalement l’autorisation de tout prendre ».