L’IA et les enjeux structurels de l’économie du livre

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Par Thomas Paris, professeur associé chercheur CNRS, HEC.

L’arrivée de l’IA suscite beaucoup d’inquiétudes et d’interrogations dans le monde du livre, comme dans l’ensemble des industries créatives et culturelles. Au-delà des questions sur le respect des droits d’auteur et le fantasme du remplacement des auteurs par des machines, son déploiement devrait avoir des impacts non seulement sur les processus de création mais plus largement sur l’ensemble de la chaine du livre, et conforter des enjeux déjà ouverts par la transformation numérique de la filière.

« Commençons à nous intéresser à ce qu’est la création pour essayer de comprendre en quoi l’IA générative peut poser un certain nombre de problèmes. Deux représentations complètement erronées sont omniprésentes dans nos esprits. On connaît le mythe de l’auteur romantique : un individu, tout seul dans son coin, qui crève la faim, attend que l’inspiration vienne et va livrer des œuvres majeures à l’humanité. L’autre mythe est la vision mécaniste : il y a un besoin, il faut le trouver. Pour cela, il faut générer des idées et la bonne surgira. Or, en réalité, il n’y a aucune évidence à la bonne idée.

Lorsque l’on parle d’économie de création, on fait tout d’abord référence à une économie d’abondance qui va donner lieu à une forme d’explosion. Il n’y a pas d’objectivité de la valeur des œuvres et tout l’enjeu c’est d’arriver à se distinguer. L’IA arrive à créer des œuvres et cela nous intéresse beaucoup aujourd’hui car c’est la nouveauté. Dans dix ans, quand ce sera la norme, il faudra qu’elle fasse un effort pour que les œuvres soient visibles et qu’on s’y intéresse.

« On est aujourd’hui dans un régime transitoire qui a tendance à biaiser les appréciations ».

Enfin, ce qui va donner de la valeur à une œuvre c’est aussi que d’autres vont y trouver de l’intérêt. Cela renvoie à une idée de partage.

Selon le sociologue américain Howard Becker, contrairement au modèle romantique, la création artistique est l’affaire d’une chaîne de coopération. La valeur de l’œuvre est créée par l’ensemble des gens qui interviennent dans sa mise sur le marché. Deuxième chose que dit Becker : l’auteur est obligé de prendre en compte l’ensemble des conventions qui régissent le secteur. Il y a un équilibre à trouver. Nous sommes à la fois obligés de tenir compte des conventions mais il faut aussi être dans une logique de distinction.

L’IA générative ne produit pas d’œuvres, elle fait des créations qui vont se mêler à toutes les autres et dont certaines pourraient, éventuellement, acquérir le statut d’œuvres. Elle n’est pas un créateur qui porte une vision du monde qui se décline dans une œuvre évolutive. Et dernier point, a priori, elle n’innove pas, puisqu’elle recycle. Néanmoins, elle peut offrir plusieurs outils pour générer des idées à écarter, nourrir les processus d’inspiration, produire des éléments secondaires (c’est-à-dire qui n’ont pas une valeur ajoutée importante) et des éléments de communication.

La question qui se pose est : est-ce qu’il y a des professions menacées ? Oui et notamment les professions pour lesquelles les gens qui payent vont faire un arbitrage entre la différence de qualité de ce qui va être produit par des humains et de ce qui va être produit par une IA générative.

L’IA menace-t-elle la création humaine ? Quand on accepte que la fonction première d’un créateur c’est son pouvoir de validation, on comprend que la menace n’est pas très importante car l’IA ne peut pas faire ça. Elle propose un résultat mais ne pourra pas le valider. Une des nouvelles différences qu’apporte l’IA c’est la grande incertitude sur ce que sera le résultat final. Il y a énormément de créateurs qui ne vont pas vouloir s’intéresser à ces objets-là car ils ne permettent pas de garder le contrôle sur la matière à laquelle ils veulent donner une forme.

Cependant, avec l’IA générative, il y a une transformation sourde des modalités dans lesquelles se fait la prescription, c’est-à-dire l’aide aux consommateurs. Plus la prescription traditionnelle, c’est-à-dire d’individus qui font des choix subjectifs, perd de la force, et plus c’est la prescription payée qui va gagner en puissance. Le combat principal est là. L’effet majeur de l’IA générative sera l’augmentation de la production et l’accentuation de l’effet d’encombrement.

« Il ne faut pas tomber dans tous les fantasmes ou les peurs qui sont déraisonnables mais ne pas nier non plus ce phénomène ».

Si ChatGpt est capable de faire la même chose que nous, cela veut dire que c’est une tâche qui n’a pas grande valeur ajoutée. Il va peut-être falloir se poser la question : soit j’apporte une vraie valeur ajoutée à certaines tâches, soit j’accepte que celles-ci puissent être déléguées aux machines ».