La médiation culturelle, définitions & repères

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« Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde. » Et de politiques publiques, pourrait-on ajouter à cette citation de Paolo Freire, tirée de sa Pédagogie des opprimés parue en France dans les années 1970 (et rééditée à La Découverte en 2001).

Action culturelle, développement culturel, animation ou médiation, autant de notions qui ont successivement cristallisé les attentes d’une époque en matière de culture, et permis de signifier les orientations majeures de la politique culturelle, comme le synthétise entre autres Marie-Christine Bordeaux1.

Illustration de Renaud Perrin

© Renaud Perrin

Le terme « médiation culturelle » apparaît en France dans le vocabulaire institutionnel des politiques culturelles à partir des années 1990. Il faut pourtant attendre 1997 (année de lancement du programme gouvernemental « Nouveaux services – emplois jeunes ») pour que la médiation culturelle soit reconnue comme une fonction et un métier spécifiques.
On peut rappeler que le terme « médiation » est d’abord apparu dans le champ social, dans l’administration ou l’entreprise, comme moyen intermédiaire pour résoudre un conflit.

Dans le champ de la culture, il regroupe l’ensemble des actions visant à mettre en relation des gens — un public, des participants — avec une œuvre artistique (tableau, installation, pièce de théâtre, performance artistique, œuvre littéraire ou cinématographique, œuvre musicale, etc.) ou une proposition culturelle (exposition, concert, thématique, etc.)2.

Le terme « action culturelle » naît dans les années 1930, dans les écrits de recherche sur le loisir et l’éducation populaire. Formule « opératoire » permettant d’associer deux termes reliés à des mondes différents : la culture et l’action (au sens d’engagement militant).

En 1959, Malraux (alors ministre de la Culture) emploie le terme d’action culturelle pour désigner les missions des maisons de la culture, projets dans lesquels viennent converger une politique de décentralisation et de démocratisation, c’est-à-dire de diffusion d’une culture légitime et de l’excellence auprès d’un public large, s’appuyant sur l’idée d’une rencontre directe avec les œuvres, voire d’un choc esthétique. Les structures d’éducation populaire et les pratiques amateurs restant quant à elles sous l’égide du ministère de la Jeunesse et des Sports.

Parallèlement, à la même période, de nombreuses structures, souvent des associations d’éducation populaire telles les maisons des jeunes et de la culture, contre-modèles des maisons de la culture, vivent leur apogée. L’animation construit alors la conception d’une culture spontanée, partagée parce que déjà possédée par tous, qu’il ne s’agit plus que de révéler à chacun. Il n’est donc pas question d’apprentissage, d’acquisition, de techniques, de codes, mais de la libération de capacités individuelles enfouies dans la personne3. S’inscrivant dans l’histoire de l’éducation populaire (de la Commune de Paris et des lois Jules Ferry au XIXe siècle au Front populaire, puis, à la Libération, à l’héritage de la Résistance et des réseaux clandestins d’association de jeunesse), motivés par l’idée de l’éducation permanente et de la résistance par la culture, ces établissements s’inscrivent dans une démarche sociale, investissent le monde éducatif, les comités d’entreprises. S’affirmant de fait comme lieux culturels, ils forment un réseau de diffusion non négligeable jusqu’aux années 1990.

C’est sans doute pour sortir de l’opposition entre culture élitiste et définition anthropologique4 de la culture active dans le domaine socioculturel qu’on change de prisme dans les années 1970 et qu’on commence à parler de « développement culturel ». Faisant ainsi évoluer la politique héritée de l’ère Malraux, ce concept permet d’englober le développement personnel, le développement territorial et local, puis plus tard le développement économique, toujours par la culture. On met dès lors en place un nouveau mode d’action publique, interministériel, fondé sur le partenariat et l’innovation sociale. Le développement culturel n’est donc plus un luxe dont on pourrait se passer, un « ornement de l’abondance5 ». Désormais, « il est lié aux conditions mêmes du développement général (…) et découle des besoins profonds des sociétés aux prises avec leur transformation6. » On voit alors se structurer les politiques territoriales en matière culturelle — collectivités locales, communes, départements et régions.

À partir des années 1980, la dimension territoriale et économique du développement culturel devient prépondérante et « développement » signifie aussi extension du domaine culturel, bien au-delà des arts majeurs consacrés par Malraux. L’élargissement du champ d’action de la culture à des pratiques dites mineures, sa dimension festive, le soutien aux industries culturelles, le développement de l’éducation artistique et culturelle, ainsi que la notion de public ont marqué le ministère de Jack Lang. Une politique culturelle dite de l’offre est mise en place. Le public, puis « les publics » deviennent la référence majeure des politiques culturelles.

Les années 1990-2000 ont été marquées par un constat : celui de l’échec apparent de la démocratisation culturelle et de la nécessité d’y remédier. « L’émergence de la médiation, et des fonctions ou métiers qui se sont développés dans son sillage, a également pour cadre une injonction politique croissante au sujet des responsabilités sociales des structures culturelles subventionnées (…). Cette émergence a partie liée avec un désenchantement qui semble général vis-à-vis de l’utopie fondatrice des politiques culturelles en France : l’accessibilité pour tous aux œuvres de qualité. La médiation est une manière de nommer à la fois cet objectif non satisfait de justice sociale dans la répartition des biens culturels, et le besoin de refonder sur d’autres bases le paradigme général de démocratisation culturelle7. »

La participation des habitants, le rôle de la culture dans le développement durable et la revendication des droits culturels sont venus petit à petit redonner du sens aux politiques culturelles, témoignant d’une volonté affichée de renouvellement des normes démocratiques.

La démocratie culturelle travaille ainsi « à l’appropriation symbolique, à la valorisation des expressions culturelles des populations et de la culture des gens, au développement social et à l’émancipation des citoyens8 ».

La médiation culturelle propose un retour à « une dimension esthétique (au sens de vécu sensible et d’intentionnalité esthétique en réception) qui se différencie d’autres formes de communication culturelle fondées sur la diffusion d’informations ou la mise à disposition de connaissances dans des conférences sur l’histoire d’un art9 ». Elle se caractérise par des dispositifs, c’est-à-dire « l’invention de formes particulières de communication culturelle10 ».

Consumérisme et relativisme culturels semblent cependant gagner du terrain. Le développement du web et des pratiques numériques accentue le mouvement tout en offrant de nouveaux possibles, transformant les pratiques de communication, de production, bousculant la pratique artistique et déplaçant les frontières entre amateurs et professionnels, mettant en question la légitimité culturelle.

« Dans le contexte des arts participatifs, des droits culturels, des communs et de l’ère numérique, la médiation ne cesse cependant de réinventer sa place. Elle demeure nécessaire parce que ce que l’on nomme ici médiation n’est rien d’autre que le ferment d’une politique de la relation11 ».