Abécédaire de la médiation littéraire

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Illustration de Renaud Perrin

© Renaud Perrin

A comme action culturelle

« Vision de la politique culturelle développée à partir des années 1960, l’action culturelle, articule l’ensemble de moyens mis en œuvre pour établir un rapprochement du milieu culturel et artistique avec la population. L’action culturelle vise à réduire les inégalités d’accès à la culture en permettant aux individus de maîtriser davantage la réalité culturelle qui les entoure et de donner un sens social aux interventions culturelles et artistiques1. »

B comme bibliodiversité

En écho à la biodiversité, la bibliodiversité fait référence à une nécessaire diversité des productions éditoriales mises à la disposition des lecteurs. Appliquée à la chaîne du livre, elle se conçoit comme un écosystème marqué par l’équilibre dans la variété et l’hétérogénéité. Diversité des genres, variété des origines linguistiques des textes, représentation des différents acteurs de l’édition, tirages larges ou confidentiels…
La promotion de la diversité culturelle repose sur la possibilité de maintenir une marge de manœuvre pour des acteurs locaux et indépendants, et pour le public, un accès à une offre plurielle de propositions éditoriales.

B comme Bourdieu

« La lecture nous oblige à découvrir en nous le sens du jeu social et peut-être à changer d’habitus2. » Car « une des illusions du lector est celle qui consiste à oublier ses propres conditions sociales de production, à universaliser inconsciemment les conditions de possibilités de sa lecture3. »

B comme braconnage

« Les lecteurs sont des voyageurs ; ils circulent sur les terres d’autrui, nomades braconnant à travers les champs qu’ils n’ont pas écrits4… »

C comme collectif/communauté de lecteurs

Un collectif se définit comme la réunion de plusieurs personnes, pendant une durée déterminée ou indéfinie, de façon informelle ou contractuelle, constituée dans le but de poursuivre un ou plusieurs objectifs communs, sous le pilotage de ses membres. Au-delà de la relation directe dans le collectif, la communauté des lecteurs permet d’entamer d’autres dialogues à travers le temps et l’espace. Ainsi, comme l’écrit Jean-Christophe Bailly : « Lire, ce n’est donc pas seulement marcher sur les traces de la différence produite par un livre, c’est aussi, d’une certaine façon marcher dans la forêt entière où ces traces ont déjà été suivies ou le seront. Dans cette forêt, chacun est seul, mais chacun, s’il le veut, peut aussi entendre d’autres pas que le sien5. »

D comme démocratie culturelle

L’art doit être un « facteur de transformation sociale » et le langage artistique une « possibilité de médiation entre les individus ». Dans cet esprit, la démocratie culturelle entendrait « assurer une reconnaissance des productions culturelles populaires ou minoritaires face à des standards culturels qui étaient considérés comme liés aux classes dominantes, contribuant ainsi à la reproduction des inégalités sociales ». Elle se donnerait pour objectif de « confier aux acteurs eux-mêmes leur destin culturel (…) ». (Céline Romainville citant Jean Caune6.)

D comme dispositif

Quel dispositif mettre en place pour réussir une action de médiation littéraire ? La médiation culturelle instaure une dialectique entre sujet et collectif. Elle ouvre un espace commun. Le dispositif doit permettre de créer cet espace et d’articuler la réception, un contexte et l’implication de chacun.

D comme droits culturels

Apparus en 2007 avec la Déclaration de Fribourg, inscrits et intégrés aux Droits humains aux  Nations Unies et dans quatre lois françaises sur la diversité culturelle, les droits culturels recouvrent plus un état d’esprit, une exigence, qu’un arsenal de règles et de décrets. Ils comprennent le droit de développer et d’exprimer sa culture dans toute sa diversité et son humanité ; et recouvrent bien plus que la connaissance des grandes œuvres de l’esprit, puisqu’ils garantissent la reconnaissance des valeurs, croyances, convictions, langues, connaissances, modes de vie et expressions artistiques. Les droits culturels visent à assurer à chacun la liberté de vivre une identité culturelle plurielle.

E comme écrire

« Ce qui me tue, dans l’écriture, c’est qu’elle est trop courte. Quand la phrase s’achève, que de choses sont restées au-dehors7 ! » déplorait Jean-Marie Gustave Le Clézio dans Le Livre des fuites.

E comme Éducation artistique et culturelle (EAC)

Trois petites lettres pour une grande ambition : l’Éducation artistique et culturelle, de la petite enfance à l’enseignement supérieur. Le plus simple et efficace étant de toucher ce public dans le cadre scolaire, l’EAC est un point de convergence entre les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale.
Toute action d’éducation artistique et culturelle intègre idéalement trois étapes : la rencontre avec les œuvres/artistes ; la pratique artistique ; l’acquisition de connaissances.

F comme fiction

« Je sais que la vérité n’est pas dans le langage. Je sais que la vérité n’est nulle part. Je sais que le récit peut faire advenir une expérience qui n’est pas nécessairement de la même nature que ce qui est dit. La fiction est ce qui m’intéresse le plus au monde, depuis toujours. Je suis fascinée par cet ordre des choses où on dit autre chose que ce qu’on dit8. »

G comme geste

Nom masculin : mouvement du corps (surtout des bras, des mains, de la tête), révélant un état d’esprit ou visant à exprimer, à exécuter quelque chose.
Exemple : avec les supports numériques, le changement de support transforme la lecture, la rupture est d’abord dans le geste : on ne feuillette plus. On scrolle, on clique, on zoome. L’espace fixe de la lecture (le papier) devient un espace (inter)actif et dynamique, polymorphe, multifonctionnel.

H comme histoire

« Pour que la montagne, le rivage ou la ville disent quelque chose, qu’une place vous y soit ouverte, ils doivent raconter des histoires. Sans récits, le monde resterait là, indifférencié, sans que l’on puisse vraiment l’habiter et construire notre demeure intérieure. Ce qui est en jeu avec cette perte d’une langue proche du chanté, métaphorique, poétique, c’est, j’y insiste, une possibilité de se lier au monde, y compris à ce que nous appelons la nature, d’y trouver lieu9. »

I comme illettrisme, illectronisme

En 2022, on référence 7 % de la population adulte âgée de 18 à 65 ans ayant été scolarisée en France en situation d’illettrisme, soit 2 500 000 personnes en métropole. En 2021, l’illectronisme concerne 15,4 % de la population dès 15 ans.

J comme jeunesse

« Sans enfant, il n’y a pas d’adulte, et sans adulte, il n’y a pas d’enfant. C’est un autre effet du patriarcat que de minimiser, occulter, voire mépriser l’enfance tant dans ses souffrances que dans ses œuvres10. »

K comme karaoké littéraire

Les festivals littéraires, en fort développement depuis les années 1990, ont favorisé l’essor des lectures publiques par les auteurs. Leur présence dans la cité est ainsi devenue plus visible. Les formes de la lecture ont évolué petit à petit vers une spectacularisation : lecture-performance, lecture dessinée, lecture-concert, sieste littéraire, bal littéraire.
En résonance avec une scène littéraire active, d’autres formes hybrides et inventives liées au partage et à la convivialité, rassemblant le public, reposant sur l’oralité et la participation, sont nées. Autant de propositions joyeuses, festives qui, hors des lieux dédiés au livre, viennent au-devant des habitants, dans les parcs, les centres-villes… réunissant parc d’attraction littéraire, kermesse, karaoké, ordonnances, pétanque et tir au but littéraires, quiz, loto, joutes, et autres photomatons détournés.

L comme lecteur

« Le lecteur en sait plus long sur un livre que son auteur lui-même », affirmait Patrick Modiano dans son discours de réception de son prix Nobel de littérature.

« Si on parle de la lecture comme d’une activité solitaire qui fait qu’il y a autant de lectures d’un livre que de lecteurs, la médiation littéraire est justement le moment où on sort de cette solitude pour avoir une parole collective autour d’un texte. Et c’est aussi le moment où on est tous égaux. Auteur, médiathécaire, public, lecteur, modérateur. Ce qui nous lie alors c’est avant tout qu’on est tous lecteurs11. »

L comme livre

« Un livre c’est peu de chose, et une réalité sans nul doute risible au regard d’un corps. Il ne se transporte au réel que sous des dimensions qui ne peuvent impressionner que les mouches, exulter quelques blattes peut-être, étonner les cirons. Parfois l’œil d’un escargot enfant.
Il introduit dans le réel une surface dont les côtés excèdent rarement 12 à 21 cm, et l’épaisseur d’un doigt12. »

M comme médiation culturelle13

La médiation culturelle est le plus souvent conçue comme une activité permettant d’établir un lien entre des publics et des propositions artistiques et culturelles, dans un cadre institutionnel, associatif, ou encore au sein de projets indépendants. Elle se définit avant tout par une pluralité de pratiques et de contextes d’action. On distingue généralement la médiation directe (réalisée par un médiateur qui entre directement en lien avec un public) et la médiation indirecte (qui s’opère par l’intermédiaire d’un outil de médiation — livret, console interactive, jeu de cartes, application numérique, etc. — se substituant à l’intervention d’un médiateur).  
On peut cependant noter deux courants de pratiques de la médiation culturelle qui correspondent à des postures distinctes. D’un côté une pratique de la médiation qui se positionne effectivement comme un liant discret et neutre entre œuvre et public. De l’autre une pratique critique de la médiation culturelle qui s’autorise à chercher, recueillir et élaborer des récits parallèles en cheminant avec les publics, à partir des œuvres.

N comme nécessaire

Adjectif.

  1. Se dit d’une condition, d’un moyen dont seule la présence ou l’action rend possible un but ou un effet. Condition nécessaire et suffisante.
  2. Nécessaire à, dont l’existence, la présence est requise pour répondre au besoin de quelqu’un, au fonctionnement de quelque chose.
    Exemple : « Dans le contexte des arts participatifs, des droits culturels, des communs et de l’ère numérique, la médiation ne cesse cependant de réinventer sa place. Elle demeure nécessaire parce que ce que l’on nomme ici médiation n’est rien d’autre que le ferment d’une politique de la relation14. »

O comme œuvre ouverte

« Toute œuvre d’art alors même qu’elle est une forme achevée et close dans sa perfection d’organisme exactement calibré, est ouverte au moins en ce qu’elle peut être interprétée de différentes façons, sans que son irréductible singularité soit altérée. Jouir d’une œuvre d’art revient à en donner une interprétation, une exécution, à la faire revivre dans une perspective originale15. »

O comme oral

« Ce qui distingue l’oralité littéraire de l’écriture c’est que l’une est accessible à tout instant et qu’elle s’adapte à presque toutes les situations tandis que l’autre nécessite une éducation, une familiarité avec la lecture, un accès au livre qui n’est pas donné à tout le monde. L’une se parle, se chante, s’entend, se perçoit dans un moment commun, se partage physiquement, tandis que l’autre se voit, se médite, se conserve mais laisse éloignés et isolés l’écrivain et son lecteur dans des lieux différents, qui leur resteront étrangers. L’une est conditionnée par la réalité, quelquefois contraignante, par une circonstance, mais elle réunit tandis que l’autre isole ; elle laisse à chacun le temps de la réflexion et du retour au texte. L’écriture procède de la correspondance. L’oralité se pratique à bras-le-corps. Les deux sont des tentatives de partage. Nous qui sommes aujourd’hui des enfants de l’écriture et de la lecture, nous avons beaucoup à gagner à mettre des paroles dans les lettres et des lettres dans les paroles16. »

P comme position du lecteur

C’est cette solitude du lecteur que souligne Pascal Quignard : soustraction, taciturnité, délaissement, le lecteur qu’il dépeint est seul avec son livre, « affamé d’intimité et de sensation de soi17 », absorbé jusqu’au repli.

P comme publics

« Je peux parler de participants plutôt que de publics18. »
Il y a cette phrase de François Deck qui dit : « seule la mutualisation des compétences et des incompétences, en coprésence, fonde un monde. Et j’aime beaucoup cette idée que, dans l’atelier, on puisse mettre en œuvre aussi ce qu’on ne sait pas faire19. »

Q comme questionner

La question est au centre de la démarche de la médiation comme elle est au centre de la démarche philosophique. Du « questionnement Quintilien » à la méthode Molino, en passant par le dialogue platonicien et la maïeutique, autant de manières de lire les œuvres et de les approcher collectivement. Une façon de se laisser en retour questionner par nos lectures !

R comme relation

« Faire jaillir les désirs, ce qui a été compris, les débats que ça soulève, ce qui émerge par analogie, ensuite on régule, on crée un fil commun. C’est une relation de miroir qui se fait dans cette présence à l’autre20. »

S comme sensible

La médiation culturelle a pour caractéristique de partir de la réception sensible des œuvres. De la perception des sens (vue, ouïe, toucher…) à une réception cognitive (issue de notre expérience, notre culture, l’histoire…), l’expression des subjectivités, la diversité des sensations et émotions suscitées mises en commun favorisent l’ouverture et la curiosité, incitant ensuite chacun à poursuivre son cheminement avec l’œuvre.

T comme temporalité

Retrouver le temps de se nourrir dans l’échange, « riche quand on peut le développer dans un temps loin de certaines contingences » précise Rébecca Piednoir. Créer des ateliers d’écriture, de lecture, « pouvoir se rappeler que lire, c’est aussi écouter ». Aménager l’espace de la rencontre, sortir de l’idée de rentabilité (ce qui demande un effort), ne jamais présager de ce qui va se passer, « conserver l’endroit des possibles », rester vigilante et disponible, prendre en considération chacun, être mobile, « toujours prête à se déplacer », savoir accepter les aléas des rencontres.

T comme territoire

« Au départ, notre préoccupation était davantage “Qu’est-ce qu’on va faire ?” que “Où va-t-on le faire ?”. Même si la question du territoire, rural ou pas, se pose en évidence incontournable », affirment Laurence Bernis et Daniel Dahl des Nouvelles Hybrides.

U comme universel

La littérature consiste à représenter « l’universel humain dans l’individuel21. »

V comme violence

« Il y a une dimension de peur totale dans la lecture. Tout communique et assiège et défie étrangement dans les textes qui sont écrits. Celui qui lit prend le risque de perdre le peu de contrôle qu’il exerce sur lui-même. Il se laisse assujettir totalement pendant le temps de la lecture, à la limite de la perte d’identité, dans le risque de disparaître. Il prête son âme et son corps. Des échanges parfois insupportables. Qui font fermer le livre, parfois le rejeter. Des évitements phobiques — des évitements d’épouvante à l’égard de certaines œuvres. Plus souvent encore : des possessions qui sont dénuées de transe visible. Sinon parfois le battement un peu précipité du cœur22. »

V comme vision et voix

Que voyez-vous et qu’entendez-vous quand vous lisez ? « Un psychocognitiviste m’a dit un jour qu’il voyait des images quand il lisait, qui étaient d’une très grande précision. Pour lui, c’était une évidence et c’est au surgissement de ces images qu’il attribuait son plaisir de lire. Il n’avait jamais douté qu’il en allait de même pour tout le monde. Quand je lui ai dit que je n’en étais pas si sûre, il a été très surpris. Je lui ai expliqué que j’avais passé une grande partie de ma vie dans des livres, avec un très grand plaisir, je n’avais même jamais pu rester trois jours sans aller dans une librairie, mais des images précises ne surgissaient pas dans mon esprit, je ne me faisais pas mon cinéma. Il m’avait regardée avec suspicion, comme s’il s’interrogeait sur ma santé mentale. J’avais alors un peu enquêté parmi mes proches : oui, bien sûr, ils voyaient des images, et même pourvues de détails, répondaient-ils sans même y penser. Tout comme la plupart de celles et ceux à qui il m’arrivait parfois de poser la question après une conférence. Pour me rassurer, je m’étais souvenue de Jeanne Benameur qui, lors d’une journée d’étude, avait lié le fait que certains enfants n’aimaient pas lire à leur difficulté à faire surgir des images. Je n’étais donc pas la seule, mais moi j’aimais lire23. »

W comme web

Le World Wide Web, littéralement la « toile (d’araignée) mondiale », abrégé en www, est un système hypertexte public fonctionnant sur Internet. Le Web permet de consulter, avec un navigateur, des pages accessibles sur des sites, liées entre elles par des hyperliens.
La lecture fragmentaire est le corollaire d’une hyperlecture ou métalecture qui extrait des éléments d’un ensemble de documents. Non linéaire, elle emmène le lecteur au-delà du texte, vers d’autres éléments textuels, ou des éléments visuels ou sonores… L’hyperlien est un point de suture, à travers lui le lecteur donne sens à ces fragments divers.

X, Y, Z comme nom des générations

Toutes les personnes nées et vivant dans le même temps appartiennent à une génération, désignée par exemple comme « génération Y » ou « génération Z ». En les nommant, on cherche à les caractériser plus précisément par un rapport au monde spécifique. Toutes les personnes nées et vivant dans le même temps appartiennent à une génération. Certains groupes sont identifiés par leur année de naissance, et désignés comme « génération Y » ou « génération Z ». Ils sont caractérisés par le rapport au monde des individus concernés, au-delà de l’âge considéré. Le contexte de socialisation (état des institutions, valeurs dominantes, outils disponibles, faits historiques et expériences partagées) produit des effets à long terme sur les habitus des individus, et des effets communs, qui les réunissent au-delà des différences sociales. Ce que l’on nomme « culture jeune » est ainsi associé à certaines pratiques culturelles qui se déclinent selon les époques.

Y comme yoyo

En détention, le « yoyo » est un système de communication officieux qui consiste en une ficelle ou un drap tendu entre les fenêtres des cellules et permet de faire passer toutes sortes d’objets entre détenus.
Les établissements pénitentiaires sont pourvus d’une bibliothèque et depuis peu de postes de coordinateurs d’activités. Parmi leurs missions d’insertion, la médiation culturelle est une ouverture particulièrement intéressante au sein de cet univers très contraint. Des animations culturelles (ateliers d’écriture, de dessin, lecture, philosophie, contes…) sont régulièrement mises en place, avec la volonté d’attiser la curiosité. Une découverte pour beaucoup.