Les clubs de lecture ados, la place des envies

Publié le

Face au geste de lecture, silencieux, solitaire, se pose souvent la question du partage. Car comment créer de l’envie, du lien, de l’échange et du collectif à haute voix, résoudre la question de la participation ? Plus encore quand il s’agit d’un jeune public réputé passif (pour ne pas dire rétif), voire éloigné de la lecture et de l’écrit. Pourquoi pas, tirant parti des expériences menées par les médiateurs sur le terrain, avec des clubs de lecture pour les ados ? Bibliothèques publiques, CDI ou librairies, nombreuses sont les initiatives qui tentent de répondre à cette problématique par l’action coordonnée.

Illustration de Renaud Perrin

© Renaud Perrin

En janvier 2023, le CNL propose un mémo en ligne des bonnes pratiques pour lancer son club de lecture. Penser le club de lecture comme un lieu d’expression libre, un espace ouvert à toutes les sensibilités et à toutes les curiosités. Décomplexer le rapport à la lecture. Instaurer un cadre convivial, une organisation simple et souple. Favoriser les croisements et les rencontres (les publics, les arts ou les formats). Diversifier les séances (sorties hors les murs, ateliers, rencontres avec un auteur). Autant d’enjeux synthétisés dans une typologie inspirée du terrain.

« En se voyant confier un rôle dans la constitution ou le renouvellement des collections, comme c’est le cas pour la bande dessinée à la bibliothèque Louise Michel à Paris ou pour le manga à la médiathèque de Lons dans les Pyrénées-Atlantiques, on peut imaginer que les jeunes lecteurs seraient plus investis dans l’activité du lieu : par le biais de leurs “clubs ados”. Des bibliothèques proposent ainsi des fiches à remplir en réunions d’acquisition avec un budget alloué. Par la suite, les BD acquises sont valorisées par des “coups de cœur” contribuant à la médiation des collections1. » La démarche porte ses fruits.

« C’est super d’avoir un espace à nous, de pouvoir parler de nos livres entre nous. »

Au petit Pantagruel, librairie jeunesse à Marseille, le club de lecture pour ados propose par exemple de se réunir chaque mois, le mercredi à 13h30. Ce rendez-vous régulier se déroule dans la librairie. La moyenne d’âge est de 12 ans. « On y parle de la plume de Timothée de Fombelle, des splendides dessins de Golo Zaho, du besoin de lire, du plaisir d’échanger, de prêter ses livres et de transmettre. Et de bien d’autres choses… » précise la libraire. Par retour d’expérience on constate que le prêt de service de presse en lecture fonctionne bien, les lectures « imposées » nettement moins.

Le club de lecture de la librairie Jean Jaurès, à Nice, propose également aux ados d’échanger sans contrainte autour de leurs envies, de leurs goûts littéraires. Leurs coups de cœur peuvent ainsi être apposés sous forme de petits mots sur les livres exposés dans la librairie et relayés sur le web.

À la médiathèque Salim-Hatubou, à Marseille, c’est le club manga qui fait un tabac. « La première partie de l’atelier est consacrée aux acquisitions. Ce sont les enfants qui décident ensemble de quel manga acheter pour la médiathèque. Ils participent ensuite à une activité, différente chaque mois (dans la mesure du possible), en rapport avec le manga ou la culture japonaise. Les participants peuvent lire et emprunter les nouveautés qu’ils ont commandées en avant-première. Ils repartent également avec une petite carte qui comporte un élément de culture japonaise expliqué, un mot de vocabulaire japonais et un hiragana à recopier pour s’entraîner à écrire en japonais. Le club manga est avant tout là pour créer du lien entre les participants et leur permettre d’échanger autour de leur passion du manga. Il a aussi pour but de développer leur curiosité et leur culture générale. »

Tout comme aux collèges d’Istres et de Miramas où les membres du club Shoko manga peuvent, chaque trimestre, présenter leurs mangas préférés autour de la thématique du moment. « Et la médiatrice animant le club amène une sélection d’ouvrages peut-être moins connus qu’elle leur présente », pour prolonger et nourrir les discussions.

À la médiathèque de Jonquières, les jeunes lecteurs sont aussi prescripteurs : « Ils nous laissent des listes de ce qu’ils aimeraient lire et participent au choix des documentaires de l’espace et des thèmes abordés. Un goûter leur est offert ».

« Quand est-ce que le club recommence en septembre ? Je n’ai plus de livre à lire. »

Autant d’expériences qui montrent la richesse des possibilités et de ce qui fonctionne dans le collectif ainsi créé. Mensuel ou trimestriel, le rendez-vous est régulier. Parfois les inscrits ne viennent pas, mais le club accueille de nouveaux venus. La convivialité se crée autour des échanges, avec ou sans goûter, dans un espace dédié, voire réservé, adapté. Mais que l’information et la communication se fassent par voie d’affichage (dans les bibliothèques — concernées ou partenaires —, les CDI, les librairies) ou par le bouche à oreille, nombreux sont ceux qui déplorent la difficulté à recruter de nouveaux participants, et qui butent parfois sur la question du manque de moyens, de la formation des « encadrants » qui doivent le plus souvent « s’improviser », inventer.

« Travailler pour et avec des adolescent.es requiert un travail de fidélisation, d’accompagnement et de réflexion qui évolue sans cesse en fonction de leurs pratiques et de leurs attentes. Les adolescent.es sont curieux de tout. Elles et ils utilisent tous les médias sans préjugés ni hiérarchie. Les frontières tombent et tout devient possible. Leurs exigences et leurs savoirs remettent en question nos pratiques professionnelles et nécessitent une veille culturelle et technologique permanente2. »

Parmi toutes ces initiatives, jusque dans leurs possibles prolongements en ligne, il y a celle — exemplaire — du club des Rêveurs de l’Odyssée de la médiathèque de Lomme (près de Lille). En septembre 2006, la médiathèque invite par « courrier personnalisé » 350 jeunes âgés de 12 à 15 ans (parmi les fichiers des usagers) à participer à une première réunion de présentation d’un nouveau projet : la création d’un groupe de lecteurs adolescents.

Les objectifs du projet sont clairs :

  • S’appuyer sur leurs pratiques culturelles et artistiques pour le développement d’une offre documentaire et culturelle sur-mesure destinée au public adolescent.
  • Les désigner comme prescripteurs et acteurs au sein du dispositif culturel et artistique de la médiathèque.
  • Et l’idée de partir d’un point a priori incroyablement fédérateur : la saga littéraire Harry Potter. Dès lors, « c’est comme passer sous le choipeau pour être dirigé vers Poufsouffle ou Gryffondor3 ».

Six jeunes se présentent à la première réunion. À la suivante, ils sont dix. Aujourd’hui, ils sont une trentaine à participer régulièrement aux réunions du club et à ses actions, un samedi après-midi tous les deux mois environ, autour d’un goûter. Les dernières lectures sont alors partagées, discutées. Chacun peut quitter le groupe et y revenir à tout moment. Les Rêveurs de l’Odyssée évoquent leurs envies et s’informent auprès des libraires partenaires des programmes de parutions. Ils « sont les premiers lecteurs en emportant chez eux les livres de leurs choix qu’ils et elles liront et critiqueront lors du rendez-vous suivant. Les critiques sont partagées ensuite sur leur page Facebook. Les livres sélectionnés portent sur leur couverture le sticker “choisi en librairie par les Rêveurs de l’Odyssée” ». Des voyages ont été organisés au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, à la Foire du livre de Bruxelles ou à la Japan Expo. « Les Rêveurs rencontrent des auteur.es vivant.es, observent la richesse éditoriale pour la jeunesse, participent à des tables rondes, des conférences, des cosplays4… » Et à de multiples moments conviviaux proposés par la médiathèque. Pique-niques de fin d’année, jeux de loups-garous… autant d’ingrédients qui ont « scellé leur appartenance à la vie du groupe ».

Il est alors intéressant de constater « qu’en dix ans, le rayon Romans de l’adolescence s’est métamorphosé. Il leur ressemble. Il est à leur image. Une photographie instantanée de ce qu’ils lisent et des auteur.es qui comptent pour eux. Les membres du groupe ont conscience de leur responsabilité et en sont fier.es. Le travail des libraires, des éditeurs et des auteur.es leur est devenu familier. La littérature adolescente n’a jamais été aussi riche et variée ».