Pierre Fourny et le collectif ALIS, le mot comme une image

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Pierre Fourny, poète et metteur en scène, est l’inventeur de la Poésie à 2 mi-mots : « Un procédé d’une simplicité désarmante : il consiste simplement à couper les mots d’un trait horizontal. Chacune des deux moitiés de mots obtenues est contenue dans un autre mot, ou plusieurs autres mots. » Une langue coupée en deux.

Illustration de Renaud Perrin

© Renaud Perrin

En 1982, Pierre Fourny fonde ALIS, Association Lieux Images et Sons « les éléments de la définition minimale du spectacle ». Car pour lui tout part d’une pratique du spectacle, « de bricolages, de manipulations d’objets et d’images » et non de textes ou de littérature. Le travail de recherche est artistique. Les projets concernent le domaine des arts de la scène, des arts plastiques, du cinéma, de l’édition et des nouvelles technologies. « Une dizaine de spectacles, des expositions, des réalisations événementielles et des films sont venus tracer une œuvre étonnante où le mot est saisi dans l’image de ce qu’il énonce, et l’image considérée au pied de la lettre. Théâtre de formes, théâtre visuel, les inventions d’ALIS viennent perturber en douceur les normes confortables de la perception pour éveiller des chemins qu’emprunte à notre insu la réalité pour venir jusqu’à nous et faire sens », comme le synthétise Jean-Marc Adolphe1.

ALIS, une exploration du langage parfaitement spectaculaire

Pierre Fourny explique : « Les mots sont réapparus dans le projet d’Alis via les affiches que nous devions créer pour annoncer les spectacles. » En continuité, le mot apparaît petit à petit dans le travail scénique ; les lettres sont prises comme des formes. Les mots font le décor, posés comme des objets ; il faut bien « que les lettres tiennent debout sur scène ».

« L’idée de couper les mots en deux vient des mains, pas de la tête. » Pierre Fourny commence par sélectionner un mot et le coupe en deux, horizontalement. En collant sur la moitié basse du mot la moitié haute d’un autre mot, il en fait apparaître un nouveau. La « police coupable », « spécialement dessinée pour permettre des mariages formels entre les mots de la langue française, est comme un pêle-mêle aux possibilités infinies ». Si les deux mots sont écrits en entier, tels quels, pas coupés, on ne peut pas voir qu’ils ont une moitié semblable. Il fallait donc une action spectaculaire pour montrer qu’un mot contient la moitié de l’autre. Une action et un outil pour cette action. La Poésie à 2 mi-mots était née.

Dès 2001, Pierre Fourny s’attèle au développement d’un logiciel qui permet de voir ce que l’œil ne voit pas, c’est-à-dire les mots qu’il est possible d’assembler. « Pendant longtemps, c’est resté un outil qui ne fournissait que la liste des mots, ne permettait de visualiser ni la transformation, ni les combinaisons possibles. » Poursuivant ses recherches alimentées par les échanges sur le terrain, Pierre Fourny développe un outil plus maniable, « pour tout le monde », permettant de rendre visibles les associations de mots et d’imprimer les résultats. Naît le Typomatic2. « Il a l’apparence d’une simple cabine de type Photomaton, mais une fois à l’intérieur, vous pouvez y couper en deux n’importe quel mot de votre choix et le recombiner avec un autre. » Désormais, Pierre Fourny n’est plus le seul à pouvoir pratiquer sa Poésie à 2 mi-mots. Et à ce jour le Typomatic a produit « 35 455 typotickets, soit 4786,4 mètres de Poésie à 2 mi-mots ».

Mais l’aventure ne s’arrête pas là et la police coupable devient Typobaladeuse, donnant naissance à « une sorte de micromaison d’édition ambulante ultrasimple (tablette et imprimante) permettant de produire en temps réel. Un outil low tech, fruit de vingt ans d’expérience. Un spectacle non scénique, totalement participatif car totalement mobile, qui peut aller voir les gens jusque dans la rue. » Et qui rend possible l’action de médiation à travers l’acte de création, sur tous les terrains.

« Personne ne peut savoir à l’avance les combinaisons qui vont émerger, ce qui crée une vraie égalité face à ce processus simple et permet de créer un dialogue assez immédiat. »

Des ateliers d’écriture (en partenariat avec l’association Mots & Merveilles par exemple), des propositions en ligne, une application web, ont été conçus comme des outils pédagogiques partagés et non lucratifs à destination des enseignants, des bibliothécaires ou d’associations. « Nous avons mené des ateliers d’expérimentation autour de la lutte contre l’illettrisme, avec des gens atteints de trisomie 21, par exemple. Cela nous a permis d’améliorer le logiciel et de confirmer l’intérêt du projet en faisant travailler des gens avec des mots écrits, alors qu’ils ne savaient pas lire, tout en respectant un vrai processus de création. Un processus très rassurant qui permet, sans notions compliquées, de s’emparer des mots et de retrouver du plaisir à le faire. » Les gens, qui ne sont pas alors dans une posture d’apprenant laissent apparaître des qualités non discernables. La confiance est plus facile à atteindre que dans un atelier d’écriture traditionnel, tout le monde étant au même plan. « Personne ne peut savoir à l’avance les combinaisons qui vont émerger, ce qui crée une vraie égalité face à ce processus simple et permet de créer un dialogue assez immédiat. » Finalement, avant tout, la proposition concrète d’une manière différente de regarder les choses. De faire les choses « très simplement et très profondément ». Au pied de la lettre.

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