La résidence d’auteur en milieu rural, outil de médiation littéraire

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De L’Esprit du lieu aux Nouvelles Hybrides, deux territoires, deux expériences.

Illustration de Renaud Perrin

© Renaud Perrin

L’Esprit du lieu

« De quel espace d’étrangeté, de quel lieu s’agit-il donc ? »
Georges Didi-Huberman

Au cœur du pays de Retz et aux portes de Nantes s’étend l’un des plus grands lacs de plaine de France, le lac de Grand-Lieu. Un site naturel protégé classé Réserve naturelle « inaccessible » au public et pratiquement « invisible » du fait de sa situation géographique sans surplomb. Un nom, Grand-Lieu, qui en fait presque un lieu sans nom propre, que seul un adjectif distingue des autres lieux. Un « espace d’étrangeté » qui donnera naissance à un projet artistique et culturel créé en 1999 et porté depuis 2011 par Arnaud de la Cotte à la tête de l’association l’Esprit du lieu. Des résidences d’auteurs et d’artistes, des actions et des rencontres culturelles, des livres (avec les éditions Joca Seria), des expositions, des projections de films, des ateliers de création et des temps d’échanges avec les habitants, autour de la présence du lac et de l’idée du lieu.

Un projet artistique s’appuyant sur un réseau de partenaires institutionnels et locaux (bibliothèques, établissements scolaires, associations de jeunesse, libraires et cinémas) ayant pour but de « promouvoir la création et les interfaces entre les pratiques artistiques dans les domaines de l’art contemporain et la littérature (orale et écrite) à partir de la notion de lieu ». Comme le souligne Arnaud de la Cotte, « l’association se distingue par sa volonté de créer une relation privilégiée entre les auteurs, les artistes et les habitants, et le désir fort de construire un espace de création artistique et de rencontre. Le concept même d’une résidence d’artistes repose sur la pleine contribution des participants avec deux enjeux : partage et proximité avec le public ». D’autant que l’association ne dispose pas d’un endroit dédié. Ainsi, « la résidence se déplace sur le territoire, dans différents lieux et fait le tour du paysage qui change en fonction des saisons », ce qui renforce son ancrage, les échos entre les projets.

Une résidence à la carte (cinq semaines sur l’année scolaire), dont les modalités pratiques sont élaborées avec l’artiste ou l’auteur et avec les partenaires en fonction de leurs besoins. « Souvent il y a autant d’ateliers qu’il y a de partenaires. » L’association est garante de la part éducative du projet. « Nous sommes interlocuteur, intermédiaire, relai de projets, un peu tout ça, mais aussi passeurs, pour que la relation puisse être directe entre partenaires et artistes. »

Une relation vivante avec les habitants est donc au cœur de cette résidence. « Un moyen de grandir ensemble et de vivre une expérience humaine unique, motivée par le souhait de développer des liens entre la création littéraire et les différentes pratiques artistiques de l’art contemporain. Au fil des années se constitue ainsi un patrimoine artistique et culturel inspiré par l’Esprit du lieu. Plus d’une vingtaine d’ouvrages publiés, comme autant de liens, des œuvres inscrites dans le paysage, des films… » Car l’association construit aussi des projets autour de l’éducation à l’image (avec le projet Passeurs d’images).

À la question de l’impact et de la trace de ces expériences sur le territoire, Arnaud de la Cotte cite une des résidences en cours, où deux auteurs, Anne Savelli et Joachim Séné, élaborent un feuilleton diffusé sur les réseaux sociaux à partir des textes, œuvres et archives des résidences depuis leur création en 1999, entamant un dialogue avec les traces laissées par leurs prédécesseurs, tentant de savoir ce que sont devenus les textes produits en résidence depuis le début. « Peut-on utiliser les voix, les œuvres des autres pour trouver ce qui, en soi, ne réussit pas à se dire ? »

En plus de vingt années d’existence, L’Esprit du lieu a créé des empreintes, une cohérence à partir de la matière produite sur place, impulsé de la concertation, des compagnonnages. « Il inscrit la littérature dans la vie » et porte une mémoire vivante. Arnaud de la Cotte est attaché à son rôle de transmission de contacts, de connaissance du lieu et de ses histoires, loin de tout principe figé. Car, bien sûr, « ça serait quelqu’un d’autre que moi, ça serait un autre projet ».


« À la rencontre des littératures d’aujourd’hui ici. »

À l’origine du projet, il y a maintenant presque vingt ans, une envie : celle de « rapprocher les publics avec la littérature contemporaine ». L’idée de territoire se résumait alors à « là où on est », en Luberon et pays d’Aix-Marseille. Au départ, notre préoccupation était davantage « Qu’est-ce qu’on va faire ? » que « Où va-t-on le faire ? ». Même si la question du territoire — rural ou pas — se pose inévitablement. Aujourd’hui, Les Nouvelles Hybrides touchent « souvent des gens qui travaillent dans des villes ou gros villages autour. Des villages certes, mais pas à proprement parler une population strictement rurale. C’est plus mélangé que ça ». En termes d’équipements, le territoire compte « deux librairies dans un rayon de quarante kilomètres et un cinéma. Pas de galeries, par exemple ».

Une fois l’association Les Nouvelles Hybrides créée, Laurence Bernis et Daniel Dahl, deux des fondateurs, ont construit leur projet presque au porte-à-porte. « Au départ, la programmation était itinérante, nous n’avions pas de lieux où accueillir le public. Nous avons commencé par frapper aux portes des bibliothèques proches de chez nous, avons pris contact avec des associations culturelles déjà existantes ou des événements littéraires. » Un réseau de bonnes volontés, de lieux de proximité s’est ainsi tissé. Un réseau étendu au fil des années, incitant les publics à circuler. « Ce sont finalement nos actions qui ont influé sur notre définition du territoire plus que l’inverse. » L’environnement ne devait pas empêcher l’exigence des propositions. Trouver des ressources, un angle, un point d’entrée, initier les croisements, « tout s’est fait en faisant, et grâce aux rencontres ». Une histoire de confiance établie petit à petit.

« On fait de la miniature. »

Et puis l’envie de prolonger les rencontres s’est imposée, « de garder les auteurs plus longtemps, créant ainsi un autre lien et travaillant autrement, sur un temps plus long, avec d’autres publics, comme les scolaires, par exemple ». Une envie qui croise celle de la Région, animée d’une volonté d’implanter des résidences, qui contacte alors l’association.

« Nous avons pensé nos résidences comme notre programmation, avec l’idée d’une coconstruction avec l’auteur, les partenaires et les publics. La ruralité est devenue une notion concrète à ce moment-là, quand on s’est mis autour de la table, générant des liens nouveaux dans un environnement peu favorable aux rencontres, par ailleurs. C’est la présence de l’auteur qui réunit tout le monde et crée du maillage. »

La résidence est envisagée comme un outil, un prolongement qui permet d’agir sur la création. « Une résidence d’écriture, pas d’action culturelle. » Ce qui implique de préserver la possibilité de temps « qualitatifs » et de fédérer un public d’une proposition à l’autre, grâce à la proximité des points de rencontre qui se « tricotent » sur le territoire.

« Nous avons évidemment besoin de l’adhésion du lieu d’accueil, car tout repose sur une addition d’énergies, d’engagements. Les nôtres, ceux de la bibliothèque et de l’auteur. » La manière dont les rencontres sont construites appartiennent au processus de médiation. Peut-être encore plus dans un contexte local dégradé.

« Depuis le Covid, nous avons du mal à remobiliser certains publics et certains acteurs locaux. Face au désintérêt désormais assumé de certaines mairies, les champs culturels reculent, les bibliothèques sont fragilisées, les équipements moins soutenus. Nous avons alors un peu l’impression de subir le revers de la médaille, que certains se déchargent sur notre expertise. C’est aussi ça notre réalité de “timbre-poste local”, notre biotope. »

Mais l’envie mordante de sortir des propositions convenues, d’inventer ensemble des formes prêtes à croiser d’autres pratiques artistiques (la musique, mais aussi le cinéma, la photographie, les arts plastiques) ou d’autres domaines notamment les sciences humaines est toujours là. Peut-être même plus que jamais pour sortir totalement de la « programmation prudente » à laquelle la pandémie avait contraint le collectif.

Invitations d’auteurs, résidences d’écriture, rencontres en milieu scolaire et carcéral, formations, ateliers de lecture à haute voix (ponctuels, au gré des rencontres, ou réguliers), ateliers d’écriture(s), sont de « multiples moyens de familiarisation avec les écritures d’aujourd’hui, qu’elles soient poétiques, romanesques, théoriques… ».

Depuis sa création, l’association a ainsi invité plus de 100 auteurs… des musiciens, des comédiens. Le 101e est d’ailleurs actuellement au travail.