Deuxième vie du livre : pratiques professionnelles en région

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Le livre neuf est vendu au client une fois. Que lui arrive-t-il ensuite ? Voici un grand sujet pour l'écologie du livre, surtout quand il s’agit de sa fin de vie. Après cette première vente, et sans compter la poubelle, le livre a trois destins principaux : don, vente d'occasion ou recyclage.

© Hitoshi Suzuki

Selon une étude du WWF, la vie moyenne d’un livre papier vendu en France est de 10 ans. À quelques exceptions près, le livre reste donc un objet périssable.  
Pour donner une deuxième vie au livre en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, que ce soit par le don ou la revente, on constate l’existence de multiples solutions, beaucoup de «débrouillardise» et d’initiatives locales. Afin de contribuer à l’optimisation de cette “filière après la filière”, il faut donc partager des informations et mettre des acteurs en relation.  
État des lieux, première liste des acteurs régionaux du livre d’occasion vous sont présentés ici après un tour d’horizon national.  


Contexte global en France

Le don à titre gratuit peut permettre de toucher des publics spécifiques. Par ailleurs, la vente par des associations comme Emmaüs de livres donnés permet, par exemple, de financer des projets. Mais comme pour toutes les solutions, il existe quelques limites : les associations indiquent jeter (ou recycler) plus de la moitié des livres donnés, car trop endommagés ou jugés inintéressants. Le volume des dons est enfin parfois trop important pour les associations, qui disposent d’un espace de stockage limité1.

Certaines associations proposent d’envoyer des livres dans les écoles ou bibliothèques du Sud global2 où, en effet, les éditeurs du Nord éprouvent certaines difficultés à faire circuler le livre neuf (notamment à cause de la différence du niveau de vie, et donc du prix des livres sur place). Cette solution est cependant à adopter avec prudence : l’Alliance internationale des éditeurs indépendants (dont une partie des membres se trouvent dans le Sud global) met en garde contre le fait que ces livres donnés sont souvent mal adaptés aux envies et aux intérêts des populations qui les reçoivent. Un influx trop important de livres d’occasion étrangers peut aussi avoir un effet pervers sur l’établissement d’une chaîne du livre local3


En France, deux livres achetés sur 10 sont d’occasion ; un tiers des acheteurs de livres neufs achète aussi des livres d’occasion. Ce marché, conséquent, commence à comporter des parallèles avec le livre neuf : massification et entrée sur le marché de vendeurs non-spécialistes.  
Sans prix unique, le livre d’occasion subit la compétition entre vendeurs. Par conséquent, le marché échappe largement aux libraires traditionnels. La moitié des transactions se font via des plateformes de grands opérateurs-détaillants comme Chapitre.com ou des vendeurs (aux modèles parfois solidaires, parfois conventionnels) comme Gibert, Momox ou Recyclivre. Ces derniers font une grande partie de leurs affaires sur des sites comme Amazon ou Rakuten. Depuis les années 1990, le marché s’est démocratisé, investi par des non-libraires et internationalisé grâce aux plateformes en ligne. Étonnamment, le modèle qui s’impose aujourd’hui consiste en la revente des dons4


Selon l’article L541-10-1 du code de l’environnement, le livre est exclu de la responsabilité élargie du producteur (REP), système en France qui oblige les producteurs à payer une taxe pour contribuer aux collectes, valorisations et éliminations de leurs produits en fin de vie. En pratique, le livre est collecté par les recycleurs comme Paprec ou Veolia. Pour les institutions, des contrats et partenariats avec des structures locales permettent des valorisations spécifiques comme la transformation en isolant composé de ouate de cellulose. 

Une étude de l’institut Basic nous alerte cependant sur le fait que le papier - et surtout le papier graphique comme celui qui compose les livres -  demeure sous-recyclé en France5. Cette situation reste due en partie à un manque d’optimisation dans la valorisation de cette ressource : le papier graphique, que l’on pourrait facilement recycler à nouveau en papier graphique, est le plus souvent mélangé avec d’autres papiers lors du tri et part souvent dans d’autres produits qui demandent une matière première moins qualitative, comme le papier hygiénique ou le carton.  

Le sous-recyclage de l’objet livre relève aussi d’un manque de communication auprès des citoyens. En effet, comme les livres sont exclus de la REP, le fameux logo Triman indiquant la recyclabilité des produits n’y figure pas. Face à cette absence d’indication, leurs propriétaires les mettent donc parfois avec les déchets ménagers, rendant une deuxième vie impossible6



État des lieux en région 

Une enquête de l’Agence (juillet 2022) permet d’entendre 63 bibliothèques régionales , 19 librairies et 18 éditeurs sur le sujet de l’écologie du livre.

Parmi les 63 bibliothèques en région qui ont répondu à l’enquête, l’ArL a reçu 50 réponses sur les questions de « deuxième vie » ou de « fin de vie » du livre.  
Les trois possibilités qui ressortent le plus fréquemment sur le destin du livre désherbé en région Sud sont :  

  • Les dons, réalisés en grande majorité dans des boîtes à livres (elles-mêmes intégrées la plupart du temps au sein de la structure), mais aussi à des structures associatives ou caritatives, le plus souvent locales (écoles, associations sociales mais aussi les prisons et établissements de santé de proximité…).  
  • La vente des ouvrages désherbés via des braderies ou utilisés lors d’ateliers créatifs. 
  • Le pilon, ultime étape, pratiqué principalement via le tri sélectif communal ou intercommunal. 

Le destin des livres désherbés est la plupart du temps mixte, en fonction de leur état ou de la demande existante pour le titre. Une poignée de bibliothèques en région déclarent travailler avec Ammareal ou d’autres entreprises solidaires ou associations spécialisées qui récupèrent les livres et s’occupent de les trier pour recyclage ou vente, selon l’état. 


Parmi les 19 libraires répondants au questionnaire de l’ArL, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les principales actions à mener pour rendre la chaine du livre plus vertueuse. Dans le monde du commerce du livre neuf, les retours aux éditeurs (des livres invendus) sont souvent pilonnés. Les libraires interrogés mentionnent le pilonnage et la destruction des livres comme des préoccupations écologiques importantes pour eux. Dans un classement de neuf gestes possibles pour rendre la librairie plus écologique, 7 des 19 libraires interrogés ont classé « mieux gérer les achats pour limiter les retours » parmi leur top trois des gestes les plus importants. Le marché de l’occasion ou le don de services de presse voire de livres abimés et obsolètes ne sont pas évoqués par les répondants. Pourtant, des librairies hybrides qui vendent des livres neufs et d’occasion existent bel et bien en région. 


Côté éditeurs, les 18 répondants pointent de grandes divergences dans le traitement des retours, des stocks et du recyclage : taux de retour des livres par les libraires compris entre 1 % et 30 %, re-commercialisation (souvent gérée par le diffuseur) allant de 2 % à 95 %, don des rebuts pour la moitié à des associations (Cobiac, associations locales et partenaires). 4 répondants recyclent leurs livres et 3 pilonnent (avec le papier de recyclé pour certains). Enfin, la vente soldée des ouvrages est mentionnée par 2 d’entre eux. Un entretien avec les éditions du Ricochet  dans le cadre du présent dossier révèle une autre pratique possible : au lieu de pilonner les retours abimés, cette maison les fait réparer par un prestataire avant de les remettre en circulation sur le marché scolaire. 



Quelques acteurs de la deuxième vie du livre en région

L’étude de l’ArL auprès des professionnels du livre a permis de relever plusieurs acteurs de la deuxième vie du livre qui sont actifs en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cette enquête est ici complétée par un tour d’horizon non exhaustif d’options disponibles aux particuliers qui souhaitent faire de la place dans leurs bibliothèques, tout en donnant une seconde chance à leurs livres. Une cartographie plus exhaustive de ces options des dons ou de vente, pour professionnels et particuliers, pourraient également faire partie d’une future étude.  

COBIAC - Collectif de bibliothécaires et intervenants en action culturelle

Basé à Aix-en-Provence, le COBIAC s’engage en faveur du développement de la lecture et des bibliothèques en France et à l’international (évaluation, accompagnement de projets, dons de livres et formation). Ayant fait le constat que de nombreux livres sont pilonnés en France alors que tant de pays en manquent, le COBIAC est acteur de la coopération internationale depuis 2000 et collecte les documents désherbés des bibliothèques ou déstockés par des éditeurs et libraires.  


Bibliothèques sans frontières 

En créant des méthodologies et des outils innovants, Bibliothèques Sans Frontières (BSF) participe à réinventer les bibliothèques, aussi bien dans leurs formes et leurs missions que dans la manière dont elles sont perçues et accueillies par les populations les plus vulnérables. BSF travaille notamment avec des bibliothèques pour récupérer une sélection de leurs ouvrages désherbés afin de les distribuer aux bibliothèques dans des pays en voie de développement. En région, un partenariat de ce genre existe déjà entre BSF et l’Université Côte d’Azur. Chaque année, BSF organise aussi une Grande collecte nationale en partenariat avec la Fnac lors de la semaine du développement durable. Pendant trois semaines, vous pourrez déposer vos livres dans tous les magasins Fnac de France au profit de leurs actions.  


Ammareal

Depuis 2015, Ammareal, entreprise solidaire basé dans l’Essonne reprend les livres auprès des bibliothèques, médiathèques, universités et associations, partout en France. En 2021, Ammareal a lancé la reprise auprès des particuliers pour compléter son offre de livres d’occasion. Ammareal reverse de 5 à 15 % de ses revenus à des associations caritatives qui luttent contre l’illettrisme. Selon l’enquête de l’ArL, plusieurs bibliothèques de la région indiquent mobiliser ce service. La médiathèque municipale de Mouans-Sartoux évoque son expérience avec Ammareal dans un article du présent dossier sur la bibliothèque verte


Emmaüs  

Le Mouvement Emmaüs représente aujourd’hui un réseau de 298 structures qui interviennent dans les domaines de l’action sociale, de l’insertion, de l’hébergement et du logement… Soit près de 30 000 acteurs ancrés localement sur l’ensemble du territoire national.  
En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, il existe une dizaine de boutiques solidaires Emmaüs. Toutes n’acceptent pas de dons de livres, mais  une carte interactive  permet de se renseigner sur les différents points de don et de vente. Il est également possible d’acheter des livres d’occasion au réseau Emmaüs via  une plateforme en ligne 


Ressourceries

Une ressourcerie est une structure qui collecte, auprès de professionnels ou de particuliers, des biens d’équipement usagés, des déchets ménagers de type encombrants et parfois des déchets non dangereux provenant d’activités économiques. À la différence des services de collecte de déchets classiques, les ressourceries privilégient la réutilisation ou le réemploi des objets avant le recyclage ou autre traitement.   

Association Régionale des Ressourceries (ARR) PACA 

Créée en 2012, l’association régionale regroupe 28 ressourceries, adhérentes au Réseau national (qui comptabilise 180 boutiques sur l’ensemble du territoire). Elle permet une cohésion entre structures (plus de coopération, de mutualisation et de professionnalisme) ainsi que le développement de collaborations. Cette association a également pour but d’initier un lien entre acteurs publics et projets. Quelques-unes des ressourceries de la région ont un rayon livre particulièrement développé : La Miraille à Saint-Martin-de-Queyrières (05), la Ressourcerie du Pays d’Arles (13), le Dirigeable à Aubagne (13), la Courtoise à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (13), la Ressourcerie de Pertuis (13), Histoires sans fin à Venelles?(13), l’E-trier à Mondragon (84), Trévie à Avignon (84) …  
Les ressourceries développent également des partenariats avec d’autres acteurs du recyclage. Dans le domaine du livre, le Recyclodrome à Marseille en est un bon exemple?: pour les livres qui ne peuvent pas être revendus ou réemployés, leur partenaire Valtri Environnement propose une opération de massicotage (séparation du livre de sa couverture) pour permettre une meilleure valorisation du papier, qui n’est plus pollué par la colle ou les plastiques présents dans la reliure. 

Un annuaire  en ligne permet de trouver une recyclerie ARR PACA près de chez soi.