Imprimer plus vert et plus éthique

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En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, des imprimeries de taille et d’objet différents tentent de rendre leurs pratiques plus écologiques.

Trois imprimeries, trois approches

À La Platine , EURL créée en 2000 dans le 1er arrondissement de Marseille, Odile Coulange et son salarié Éric tentent de défendre la tradition de l’imprimerie de proximité, le mode d’impression offset et le rendu de qualité. Labellisé “artisan d’art” par la Chambre des métiers, l’atelier fournit “tout le monde”, et imprime les livres d’art du Dernier Cri autant que des cartes de visites. Un documentaire produit par Cocoribou films , Quadrifluox , lui a récemment été consacré. Fragilisé par la baisse de l’activité industrielle et la crise du papier, l’atelier a monté en 2018 une association à but artistique, l’Imprimerie, pour développer des ateliers, et porte un projet de musée. L’écologie est pour Odile Coulange un sujet important à conjuguer avec les préoccupations économiques.

Tirage maximal : 1 000 exemplaires

Ouvert en 2017 à la Belle de Mai à Marseille, Altiplano est à la fois l’atelier d’artiste de Charlotte Planche, graphiste, illustratrice et Noémie Privat, graveuse et sérigraphe, et un lieu ouvert, accueillant des expositions (Stéphane Dupont, Roby Comblain, Pascale Lefebvre), de l’édition de tirages ou d’ouvrages d’artistes (Fabienne Gaston-Dreyfus…), des résidences d’auteurs jeunesse (Caroline Gamon, Gaby Bazin…), des formations et ateliers. Portées par l’association du même nom, ces activités partagent les techniques de gravure et de sérigraphie auprès d’artistes qui les connaissent peu. Les revenus proviennent des activités payantes, de la vente de tirages et de subventions (DRAC, Ville de Marseille).

Les deux jeunes femmes sont très sensibles à la question de l’écologie, notamment pour raisons de santé : “ce sont des techniques qui ont été très toxiques”, explique Charlotte Planche, citant les maladies développées par des artistes dans les années 60.

Tirage maximal : 100 exemplaires

Fondée en 1980 à Vence (Alpes-Maritimes) par Michel Trulli, reprise en 2008 par ses fils Sylvain et Julien, l’imprimerie Trulli , une SAS, compte aujourd’hui 28 salariés. Elle produit avec des presses offset des petites, moyennes, et grandes séries, des livres, dépliants, magazines, périodiques et beaux livres. Labellisée Imprim’vert et certifiée par la norme internationale ISO 14001, elle mène depuis 1999 une politique d’investissements importants, amortis sur plusieurs décennies, pour améliorer son impact écologique. “Écologie égal économie”, résume Sylvain Trulli, qui évoque une politique d’entreprise”. “Si on n’était pas une entreprise familiale, mais une entreprise qui dépend d’un groupe financier, ce ne serait pas possible. On n’est pas dans une logique de rentabilité mais de pérennité”, précise celui qui est également administrateur du Groupement des métiers de l’Imprimerie et de la Communication , syndicat patronal spécialisé.

Chiffre d’affaires : 4,7 à 5 millions d’euros


Les papiers : filières et récup’

L’imprimerie Trulli est certifiée PEFC et FSC, des normes garantissant la traçabilité du papier utilisé et la gestion responsable des forêts. À La Platine, Odile Coulange met en avant un de ses fournisseurs, l’italien Fedrigoni , “le plus éthique, à tous points de vue” selon elle, qui s’est engagé sur treize objectifs chiffrés en matière de développement durable pour 2030 ( rapport annuel 2021 target: _blank). La gamme de papier recyclé Freelife Vellum est utilisée par l’imprimerie.

La récup’ est également de mise : en plus de ses achats de papiers, l’atelier Altiplano récupère à l’occasion des rames non utilisées par l’imprimerie C.C.I., installée à Marseille. Les chutes de papiers et macules (brouillons en imprimerie) sont réemployées pour des petits formats ou des ateliers. La Platine procède de même, réalise des blocs avec ses chutes et en confie même à un artiste pour des créations. L’imprimerie faisait autrefois appel à un service de récupération de papier, mais l’évolution des conditions tarifaires à la suite du rachat de ce dernier les a conduit à arrêter.

L’imprimerie Trulli a aussi renoncé, de son côté, à ces prestations de recyclage proposées par des grands groupes (Veolia, Suez). Elle a investi en 2007 dans un système d’aspiration centralisé des rognes de papier avec presse à balles. Ce système, le premier à l’époque en région, aspire toutes les chutes de papiers produites par l’imprimerie et les compacte, ainsi que les emballages cartons ou plastique, ce qui permet leur revente pour recyclage de la fibre de papier. Une façon de transformer des déchets en “gisement”, pour Sylvain Trulli. Seul point négatif : la consommation d’énergie. L’imprimerie a optimisé les horaires d’enclenchement de la machine et a mis en place un système de traçage de la consommation des quatre machines les plus gourmandes en énergie de l’imprimerie (les deux presses, la climatisation et l’aspiration et presse à balle).


Encres, solvants et plaques : réduire les polluants

“Il y a “bio” d’écrit sur certaines encres, mais je ne le certifie pas”, commente Odile Coulange… L’impression fait appel à des polluants parfois difficiles à limiter. Côté encres, l’atelier Altiplano a fait le choix de privilégier les encres à l’eau, qui n’émettent pas de vapeurs dangereuses et se lavent à l’eau, plutôt que les encres à solvants, pour des raisons de santé. Trulli utilise également des encres aqueuses, à base d’huile de lin et de colza, avec un taux d’alcool réduit (2,5 % au lieu de 10 à 15 %). L’imprimerie a investi dans un système de pompe à fût, au lieu de pots, et équipé ces fûts de membranes plastiques remplaçables, pour limiter les contenants.

“Impossible cependant d’être non toxique pour certains procédés”, explique Charlotte Planche, notamment pour l’étape d’insolation en sérigraphie, ou le lavage des écrans. Du fait de la faible production d’Altiplano, cela se fait dans les eaux usées. Ce qui ne lui paraît pas satisfaisant, d’autant plus que le système d’égouts du centre-ville de Marseille est unitaire, c’est-à-dire que les eaux usées et eaux de pluie y sont mélangées. La Platine fait face au même problème et a fait l’objet d’un contrôle de la Société des eaux, sans conséquences. L’imprimerie Trulli, de son côté, a mis en place un système pour récupérer sa production plus conséquente de solvants et d’encres, par le biais de tissus qui sont ensuite confiés pour traitement à une société spécialisée.

Les plaques d’aluminium, utilisées dans les presses d’imprimerie offset, sont également une source de pollution, tant par le procédé de gravage que par le risque de rejet d’alumine. Odile Coulange signale que l’industrie s’est améliorée : le gravage des plaques par ordinateur (CTP : computer to plate) permet de ne plus utiliser de produits chimiques comme révélateurs et fixateurs. Elle fait appel à un fournisseur externe pour ses plaques, comme l’imprimerie Trulli. Les plaques d’aluminium utilisées par cette dernière sont consignées, pour pouvoir être renvoyées au fournisseur et réutilisées. Cette organisation exige de réserver de l’espace de stockage pour les plaques usées.


La logistique : toujours un point dur

Sur les questions de livraison, difficile d’échapper au transporteur routier traditionnel dès que les distances et quantités sont conséquentes. Pour ses livraisons sur Marseille, La Platine travaille avec le Maillon Vert , un service de livraison à vélo. Mais un transitaire prend le relais pour la petite partie de la production qui va plus loin. Chez l’imprimerie Trulli, Sylvain Trulli admet ne pas croire à la livraison au dernier kilomètre en véhicule électrique. Il préfère optimiser ses livraisons en sous-traitant pour adapter les véhicules à la quantité à déplacer et en les remplissant.

Prenant la casquette du GMI, son syndicat, il pointe par ailleurs la concurrence des imprimeurs installés en Espagne et au Portugal, plus éloignés, et dont les charges ne sont pas les mêmes : “Les éditeurs français vont chercher en Espagne les prix, mais se font soigner en France.” Le GMI défend l’idée d’un dégrèvement de la taxe Eco-folio, sur le tonnage de papier à usage graphique, transformé, manufacturé, conditionné et destiné à être imprimé, pour les éditeurs faisant imprimer en France.


Et l’humain dans tout ça ?

Comment produire, comment garder une échelle humaine ? Les trois imprimeurs ont des positions différentes sur ces questions.

À l’imprimerie Trulli, les investissements ont permis d’augmenter la productivité de l’entreprise. Sylvain Trulli met en avant leur volet RSE : les nouvelles machines ont réduit les tâches peu valorisantes et sources de troubles musculo-squelettiques réalisées par des salariés. Elles ont permis aussi de réduire le temps consacré à ces tâches. Selon lui, les gains de productivité ont été absorbés par l’activité de l’entreprise et la masse salariale n’a pas été réduite. Une employée dans l’entreprise est dédiée à la formation et à l’accompagnement de ses salariés sur de nouvelles activités.

Au contraire, Odile Coulage a refusé, à la Platine, de changer d’échelle, de renoncer à une dimension artisanale et de qualité, et de sous-traiter ses activités, hors façonnage. “Restons humains”, insiste-t-elle. En contact avec des imprimeurs indépendants de nombreux pays par les réseaux sociaux, elle se désole de “l’extinction, partout, de imprimerie libre”, alors que l’activité est de plus en plus concentrée par de grands groupes.

Altiplano se place également dans cette lignée. Charlotte Planche souhaite que l’activité de l’atelier et la diffusion des tirages continue de permettre les échanges et rencontres qui ont lieu actuellement. Quoi que “grande consommatrice d’images”, elle s’interroge aussi sur les risques de surproduction, dans un contexte déjà saturé. Une réflexion à mener, selon elle, “est celle du juste tirage”, conjuguant impératifs économiques et éthiques…