Quelles actions pour une librairie plus écologique ?

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Pris entre la surproduction éditoriale et les demandes des clients, les libraires de la région Sud, comme ailleurs, cherchent les meilleures stratégies pour rendre leur filière plus vertueuse.

Les actions les plus impactantes pour l’écologie de la chaîne sont souvent les plus difficiles à mener, car elles demandent plus de coopération avec les autres métiers du livre. Des ressources nationales, ainsi que les initiatives des libraires de la région, offrent des pistes pour avancer ensemble.


Quels outils sont à la disposition des libraires ? 

Un guide des «  Bonnes pratiques en faveur de la transition écologique en librairie »  réalisé par la commission du développement durable du Syndicat de la librairie française (SLF) constitue aujourd’hui une des ressources les plus complètes sur le sujet.

Dans le domaine de l’interprofession, la charte des valeurs du Centre national du livre et la charte environnementale du Syndicat national de l’édition permettent d’en apprendre plus sur les bonnes pratiques écologiques au-delà de la librairie.

Pour les amateurs de chiffres, la Chambre de commerce et de l’industrie de la région Sud propose des analyses d’émissions de CO2 gratuites .

Les expériences concrètes des librairies en région constituent encore une autre source utile pour les professionnels qui souhaitent se mobiliser. Pour faire un état des lieux, l’Agence régionale du livre de Provence-Alpes-Côte d’Azur a mené une enquête durant l’été 2022 auprès des libraires de la région. Une série d’entretiens détaillés avec des librairies engagées a permis ensuite de découvrir les défis qu’elles rencontrent et leurs stratégies dans la quête d’une librairie plus écologique.


Quelles sont les principales actions à mener pour une librairie plus écologique ? 

Le guide du Syndicat de la Librairie Française (SLF), qui a vocation à évoluer au fil du temps, propose en juillet 2022 une dizaine de démarches classées en trois catégories : les achats, la vie de la librairie et la librairie dans son environnement.

Lors de son enquête, l’ArL a demandé aux libraires du Sud quelles sont, à leur avis, les actions principales à mener pour une chaîne du livre plus vertueuse. Tous ont cité au moins une des pratiques suivantes, qui croisent les deuxième et troisième catégories du guide SLF : maîtriser les achats et les taux de retour, optimiser les commandes et sensibiliser les clients.


Comment les libraires de la région mènent-ils ces actions ?  Quelles sont leurs limites ? 

En aval de la chaîne du livre, les librairies subissent une surproduction croissante. Le résultat : un turnover plus rapide en librairie, plus de retours et donc plus de transports, plus de cartons, plus de pilon1. Maîtriser ses achats et réduire ses taux de retour permettent de lutter contre ces effets au niveau individuel. Les libraires interrogés par l’ArL ont évoqué plusieurs stratégies :

La préconisation est une politique d’achat où on ne commande que les livres que les librairies ont lu et approuvé. Elle permet d’offrir un meilleur conseil aux clients et de limiter ses commandes, tout en s’assurant de la qualité de ses propositions. Cette méthode reste chronophage et relève d’un choix assumé de limiter ses stocks, mais on peut aussi l’appliquer de façon partielle ou uniquement sur certains rayons.

Choisir des fournisseurs éco-responsables et demander à ses fournisseurs existants d’adopter de meilleures pratiques sont deux stratégies interprofessionnelles pour soutenir une filière plus écologique.

À la Librairie La Carline (Forcalquier) Aurélie Lucchi et son équipe s’efforcent de soutenir davantage des maisons d’édition qui intègrent des critères écologiques dans leur chaîne de production. « Ce n’est pas toujours possible, admet la libraire, car nous ne pouvons pas nous passer de certaines collections jeunesse, très demandées, dont on sait qu’elles sont imprimées en Chine. Mais il y a d’autres collections que nous n’achetons plus. Si les libraires boycottent certaines pratiques, cela peut avoir un impact. »

Cette exigence peut aussi passer par le refus de certaines pratiques, comme l’envoi de publicités sur le lieu de vente (PLV) non désirées. C’est la politique de La Carline : « Nous refusons systématiquement la PLV, et quand les fournisseurs nous en mettent de force, on insiste en leur disant que c’est du gaspillage de transport et de carton. »

La surproduction tient également d’une fabrication de livres redondants qui suivent une mode ou capitalisent sur un phénomène médiatique sans réel apport2.

« On le voit bien dans le rayon pratique », explique Mathilde Rioni, libraire chez Les Furtifs (Aubagne). « Est-ce qu’on a vraiment besoin d’un énième livre sur la cuisine japonaise alors qu’il existe déjà beaucoup de titres de qualité sur ce sujet ? Nous avons arrêté de commander ce type de livres pour l’espace pratique. Ce n’est pas sans conséquences - le chiffre d’affaires du rayon a chuté, mais c’est un choix assumé de notre part. »

La plupart des retours en France viennent des grandes surfaces culturelles ou non spécialisées3. Cependant, le taux moyen de retours en librairie représente environ 20 % et une part non négligeable de ces ouvrages finiront au pilon.

Maîtriser ses achats permet de limiter les retours, mais on peut aussi employer d’autres moyens. Quand l’équipe des Furtifs se retrouve avec une pile d’invendus, ils lisent les livres en question pour pouvoir mieux les conseiller et créent une table ou une vitrine pour les mettre en avant. « Ce n’est pas toujours efficace à 100 %, mais c’est un moyen d’avoir le moins de retours possible », affirme Mathilde Rioni.

Dans un monde du livre où les rotations sont souvent très rapides, mettre en avant les livres de fonds permet de faire vivre les livres sur le long terme.

« Certains livres ont une durée de vie très courte, due à leur médiatisation. On les vend pendant quelques semaines et puis c’est fini », remarque Aurélie Lucchi de La Carline. Pour lutter contre cet effet et pour soutenir des maisons d’édition indépendantes de qualité, La Carline a créé en 2020 un cycle d’événements, « Donner la voix », qui met en avant un éditeur, y compris son fonds, pendant quatre mois. Une grande table de librairie est accompagnée durant cette période de rencontres et d’enregistrements de lectures diffusés sur les réseaux sociaux.

Pour sa part, Sandrine Pot de L’Archa des Carmes (Arles) décrit sa structure comme une librairie de fonds, qui sort d’une logique de marketing des nouveautés : « Les livres ne sont pas acquis en fonction de l’actualité littéraire, des nouveautés ou des succès de librairie, mais selon le projet de création d’un fonds particulier, ainsi que de besoins identifiés au fur et à mesure. Tout le monde peut le faire, tout au moins avec une partie du stock ».

Optimiser les commandes et les livraisons Un autre chantier concerne les commandes des clients. Des plateformes en ligne telles qu’Amazon font concurrence à la librairie indépendante en proposant des délais de livraison très courts, sources d’émissions plus lourdes. Au lieu de jouer le jeu du plus rapide, certains libraires cherchent à optimiser commandes et livraisons, tout en sensibilisant les clients aux enjeux écologiques.

Pour les livraisons à domicile, on peut parfois choisir un mode de livraison plus éco-responsable, éventuellement en lien avec d’autres commerces. C’est le cas de la librairie Maupetit (Marseille) qui propose la livraison à vélo. « Plusieurs librairies marseillaises le font, mais chacune utilise un service différent, raconte Damien Bouticourt, gérant de Maupetit. Une prochaine étape serait de se mettre ensemble entre libraires pour engager un seul prestataire, afin de négocier un meilleur prix et améliorer le service. »

Pour les librairies qui ne disposent pas de ces options, la Poste reste un choix relativement vertueux : elle garantit la « neutralité carbone » de l’ensemble de ses services via un système de compensation des émissions4.

Grouper les commandes permet d’économiser les transports et l’emballage, même si le temps de livraison est plus long. Comme l’explique Sandrine Pot de l’Archa des Carmes : « Nous commandons quand nous avons une liste conséquente et non un seul titre pour un lecteur. Si certains clients le comprennent très bien, d’autres préfèrent s’adresser à un confrère ou à un site en ligne. Dans tous les cas, je me vois dans l’obligation de leur expliquer pourquoi je regroupe les commandes. »

En contact direct avec le lecteur, la librairie dispose de nombreuses opportunités pour le sensibiliser aux enjeux de l’écologie du livre.

Des actions éco-responsables du quotidien peuvent devenir une occasion pour sensibiliser ses clients. Grouper les commandes en est un bon exemple, mais cela peut aussi passer par d’autres gestes comme imprimer les tickets de caisse uniquement sur demande pour économiser du papier.

Enfin, de plus en plus de librairies proposent aux clients la possibilité de se former eux-mêmes à l’écologie avec un rayon spécialisé. L’ArL présente les expériences de plusieurs libraires et bibliothécaires dans « Créer un rayon écologie qui vous ressemble  ». 


Et l’interprofession ? 

Les libraires disposent d’une certaine marge de manœuvre, mais sont aussi pris dans une toile de relations interprofessionnelles en amont comme en aval de la chaîne. Certaines actions impliquent donc d’engager un dialogue avec d’autres professionnels du livre.

À ce jour, des forums de dialogues interprofessionnels en France restent limités. L’Association pour l’écologie du livre travaille cependant depuis 2020 pour créer un tel espace de coopération. De plus en plus de rencontres professionnelles intègrent également ce souci dans leur programmation, comme les Rencontres nationales de la librairie, qui proposaient en 2022 un atelier sur l’empreinte environnementale de la chaîne du livre.

Travailler collectivement, que ce soit par l’interprofession ou entre libraires, est une stratégie puissante qui donne davantage du sens aux actions individuelles.

Suite à la pandémie de 2020, quelques dizaines d’éditeurs et libraires, dont plusieurs libraires de la région, ont signé une tribune :  « Les livres n’ont pas de date de péremption » . Le texte (publié notamment dans Le Monde et sur le site des Libraires du Sud) fait le constat d’une chaîne du livre fortement déséquilibrée au niveau écologique et social. Les signataires proposent une série de contre-mesures, dont une taxe sur le pilon destinée à un fonds de rémunération des auteurs. L’initiative, qui devrait déboucher sur des groupes de travail libraires-éditeurs, est malheureusement restée sans suite.

En région, les libraires s’organisent actuellement pour l’écologie au sein des Libraires du Sud. Créée en 2022, la Commission développement durable de l’association cherche à recenser des initiatives existantes et d’outiller les libraires. Freinée par la pandémie, la commission en est toujours à ses débuts, mais prévoit d’avancer son agenda au maximum à partir de la rentrée 2022.

Les opportunités pour s’engager à titre individuel comme au niveau collectif sont donc nombreuses, mais il reste du travail à faire, notamment sur le front interprofessionnel.