Opera Mundi : penser l’écologie collectivement, avec tous les publics

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Depuis 2014, Opera Mundi invite des publics variés à découvrir et discuter des grands changements écologiques, économiques, scientifiques et sociaux qui bouleversent notre société.

Les fondateurs de l’association, Cécile Arnold (chargée de la communication et des relations publiques) et Éric Giraud (chargé de la programmation), présentent chaque année un cycle de conférences autour d’un grand sujet de société lié à l’écologie, ainsi que de nombreuses autres actions culturelles en partenariat avec le monde du livre et le monde associatif. Une des priorités de l’association est d’ouvrir le débat à un public aussi large que possible. Experts, non experts, enfants ou prisonniers, tous sont invités à prendre part à la conversation.


Agence régionale du livre : L’association Opera Mundi existe depuis 2014. Pourquoi vous lancer dans cette aventure ? À quel besoin répond Opera Mundi ? 

Éric Giraud : Avant Opera Mundi, je venais de la littérature. Je travaillais au Centre international de poésie à Marseille et j’écrivais. Au début des années 2000, je sentais que ce monde de la littérature et tout particulièrement de la poésie contemporaine tournait en rond, avec pour objet lui-même…ce n’était pas en relation avec les autres arts, les autres sciences, etc. Surtout, je sentais que le monde était en train de changer et qu’il fallait réagir. Même si l’on devait proposer aux gens de la forme, de l’esthétique, il ne fallait pas oublier le sens, dans un monde qui était en train de se modifier énormément. J’ai donc proposé ce projet de conférences à Cécile et nous l’avons remanié ensemble.

Cécile Arnold : Cette création d’un espace critique par la rencontre avec des scientifiques, des penseurs, des philosophes, des chercheurs pour penser le monde contemporain et ses enjeux, pour acquérir des outils critiques en tant que citoyen, m’a toujours semblé essentielle, voire d’utilité publique.

Les conférences d’Opera Mundi sont données par des intervenants qui sont tous en rapport avec le livre d’une certaine façon. Pourquoi des conférences plutôt que d’aller lire des livres ? L’idée est de créer des lieux de débat public, des lieux d’accès au savoir qui suscitent des émotions intellectuelles vécues ensemble dans une salle. Des lieux qui suscitent de la rencontre avec un auteur qui nous amène à penser avec lui dans un événement qui s’appelle une conférence, mais où on réfléchit tous ensemble. C’est cet aspect politique d’une conférence, au sens premier, au sens le plus noble, d’un exercice démocratique, d’une pensée et d’une réflexion partagée. Autrement dit, remettre du sens dans la cité avec le concours de ces experts invités à parler, mais aussi en permettant aux publics, aux non experts, d’apporter leur contribution. C’est une rencontre dans les deux sens. Et donc, avec Éric, nous avons essayé de mettre la relation au cœur de notre projet.


Pourquoi l’écologie est-elle devenue votre point de départ ? 

EG : Nous sommes partis de la question écologique pour revisiter toutes les grandes questions de notre époque. C’est le point de départ de notre projet depuis toujours. Après, nous ne traitons pas exclusivement de questions écologiques, mais on le voit, l’écologie est partout. Quoi qu’on aborde, il y a toujours une question d’écologie. Mais il faut la mettre en lien avec le social, la politique, la géopolitique…

CA : Nous avons voulu nous concentrer sur la question de l’écologie lors de notre premier cycle de conférences en 2015-2016. Ce premier cycle ne suffisait absolument pas, posait tellement de questions, que nous avons souhaité continuer sur cet axe-là qui était déjà au cœur du projet. Chaque saison produit, enrichit un questionnement et ouvre une réflexion qui va nourrir la saison suivante.


En effet, chaque année, de septembre à mai, Opera Mundi organise un cycle de conférences autour d’un thème ou une question liée aux grands enjeux de notre temps. À qui ces conférences sont-elles destinées ?

EG : Ces conférences sont destinées au public le plus large possible, qu’il soit adulte ou enfant. On a voulu créer le public le plus mélangé possible sur les plans générationnel, social, culturel, professionnel…


Le jeune public est au centre de votre programmation, notamment à travers les conférences "Abécédaire". Pouvez-vous me parler des actions culturelles que vous menez auprès de la jeunesse et comment vous engagez ce public ? 

CA : Dès le début du projet, toucher le jeune public a fait partie des enjeux. L’idée était que les questions qu’on allait aborder étaient des questions qui nous concernent tous, et les jeunes générations en particulier.

Nous avons réfléchi à la manière dont on pourrait rendre accessible le format conférence pour les enfants. Nous avons donc inventé les conférences “Abécédaire”, où les plus jeunes sont impliqués dans la sortie des idées avec des lettres qu’ils piochent dans un sac et qui représentent des concepts que nous avons définis avec le conférencier en amont. Cela demande une grande réactivité du conférencier qui déploie sa pensée tout en sollicitant l’intelligence des enfants durant la conférence.


Opera Mundi travaille avec un grand éventail de partenaires locaux, dont des médiathèques. Le programme Naturalistes en herbe (2020-2023), que vous menez actuellement en partenariat avec les bibliothèques et les écoles, en est un bon exemple.

CA : Les Naturalistes en herbe est une action culturelle qui se développe dans les Quartiers Prioritaires de la Ville (QPV) et qui questionne la relation des adolescents avec leur bibliothèque. Cette action fait partie du dispositif national « Rendez-vous en bibliothèque », porté par la Direction régionale des affaires culturelles PACA et piloté par la Métropole Aix-Marseille Provence. Il s’agit de créer des expérimentions de forme qui engagent les enfants à fréquenter la bibliothèque. Je suis partie de l’idée d’un écosystème, qu’un quartier est un écosystème auquel participent les enfants, les bibliothèques et les établissements scolaires. Il s’agit de relier tous ces lieux ensemble, c’est une invitation aux enfants à revisiter leur perception de leur quartier du point de vue botanique, à réveiller leur curiosité, et à faire de la bibliothèque une sorte de QG pour ces explorations botaniques, ces explorations du quartier et de la bibliothèque.


Une des particularités d’Opera Mundi est de viser un public aussi varié que possible. Comment travaillez-vous avec vos partenaires au-delà du monde du livre pour toucher différents publics ?

CA : Opera Mundi, depuis le départ, n’a de cesse de réfléchir à comment travailler en bonne intelligence pour toucher des publics très différents ainsi que nos partenaires. Nous essayons d’impliquer beaucoup d’acteurs qui vont venir nourrir les programmations.

EG : On est aussi intervenu dans des centres commerciaux, des prisons. Cécile a beaucoup développé cette démarche. On organise des interventions aux Baumettes et au Centre Pénitentiaire de Luynes également. Et prochainement dans des hôpitaux psychiatriques.

CA : Les expériences en milieu carcéral, c’est quelque chose qui me tient à cœur. On pourrait penser que ces sujets préoccupent peu les détenus. Mais en lançant le débat sur ce type de questions de société avec n’importe quel public, qu’il soit jeune, empêché comme les détenus, ou même le grand public, on se rend compte que tout le monde a un besoin, une soif de discuter ensemble de sujets parfois iconoclastes.


Opera Mundi revendique un engagement très fort envers l’horizontalité, alors qu’on reproche souvent au milieu culturel d’être élitiste...

CA : Effectivement, nous sommes mobilisés par cette volonté de déconstruire l’accès à la connaissance et de pousser les portes pour les gens qui se disent que ce n’est pas pour eux. Les Apero Mundi, qui sont des temps de débat conviviaux qui suivent les conférences, représentent cette idée d’une déconstruction de la hiérarchie des savoirs, entre celui qui sait et celui qui ne sait pas. Concrètement, ce qui se passe dans ces Apero Mundi, c’est réellement cette agora dont on rêve tous, qui est là, en action.


Et pour la suite ? Comment envisagez-vous de faire évoluer Opera Mundi ?

EG : Pour l’année à venir, le thème sera le soin. Comment prendre soin du monde, porter attention à la vulnérabilité. En fait, dans un des ateliers avec les détenus, il nous est venu l’idée de faire des ateliers du soin, en plus des ateliers philo que nous proposons habituellement. Parce que si on s’intéresse au savoir, on s’intéresse aussi au savoir-faire, comment trouver des solutions pratiques, encapaciter les gens, leur donner la possibilité de proposer des choses. L’atelier du soin, c’est comment prendre soin de soi, de son quartier et des autres.

Ensuite, nous allons essayer de renouveler la formule pour les dix ans d’Opera Mundi en 2024. Ce renouvellement est d’autant plus important qu’on se trouve dans une époque de la massification, de la production excessive. Concernant l’écologie, il y a maintenant des milliers de conférences de tous les côtés, dans tous les festivals, c’est partout. Tout le monde s’en empare, et c’est bien, mais si ça résonne trop, ça devient plus difficile à faire entendre.


C’est une question difficile, en effet. Le rayon écologie en librairie s’est aussi beaucoup développé ces dernières années. Dans le monde du livre, on entend souvent la question : est-ce un rayon qui est en train de saturer, est-ce qu’il y a surproduction ? Et si oui, comment continuer cette conversation collective, toujours nécessaire, autour de l’écologie ? 

EG : Il y a des livres qui sont écrits trop vite et sur n’importe quoi, c’est vrai. Soudain, le fait de trop parler, cela peut vider un sujet aussi. Il ne faut pas faire un discours de séminariste, mais il ne faut pas en parler de manière trop vide pour faire du chiffre. Nous sommes confrontés à cela également, dans nos productions culturelles, et nous sommes un peu décontenancés. Nous nous demandons s’il faut toujours continuer à faire des choses sur l’écologie, si c’est le cas pour tout le monde maintenant. Nous allons persévérer, mais nous allons essayer de trouver d’autres formules.

CA : Il faut trouver le fil subtil pour faire sortir la pensée la plus actuelle, la plus pertinente.