Écrire l'écologie : entretien avec Anne Defréville

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Autrice-illustratrice diplômée des Beaux-Arts de Marseille, Anne Defréville commence sa carrière en tant que dessinatrice scientifique pour le centre d’immunologie de Marseille avant de s’installer à Paris, où elle devient directrice artistique dans l’édition pendant 15 ans. Indépendante depuis 2013, elle se consacre aujourd’hui à la réalisation de bandes dessinées et d’illustrations autour des sujets qui lui importent le plus - la protection de la biodiversité et la lutte contre la “sixième extinction”.

Crédits : Marc Benoliel


Agence  régionale du Livre : Anne Defréville, aujourd’hui vous travaillez beaucoup avec des ONG, qui sont à la fois une source d’informations scientifiques et d’inspiration pour vos bandes dessinées. Ces organisations sont aussi des partenaires pour lesquels vous réalisez des illustrations de vulgarisation scientifique. Quelle est l’origine de cette démarche ?

Anne Defréville : C’était quand j’habitais à Paris où j’étais directrice artistique. Les Éditions Buchet-Chastel avaient une collection d’écologie où il y avait énormément de livres engagés. Je m’occupais de la réalisation des couvertures, mais c’est en les lisant que j’ai découvert beaucoup d’associations intéressantes.

Ainsi j’ai rencontré la directrice de l’Association Humanité et Biodiversité, Sandrine Bélier, députée au parlement européen. Elle m’a tout de suite dit : « Ma priorité, c’est le hamster d’Alsace parce qu’il va bientôt disparaître ; je me bats au Conseil européen pour qu’on agisse. » Au début, on se dit, qu’est-ce qu’on va œuvrer pour un hamster ? Mais en fait, c’est majeur parce que la disparition d’une espèce représente tout un pan de la biodiversité qui va s’effondrer. Ce combat m’a fascinée et j’ai commencé à faire des dessins pour l’association. Parfois, par pur bénévolat, je leur donnais mes dessins pour illustrer leur magazine, parfois on s’arrangeait autrement pour que tout le monde s’y retrouve. Ils m’ont aussi soutenue dans des démarches en me recommandant  pour des bourses. Un soutien mutuel très sympathique. Ce type de relation solidaire est assez facile à développer dans le secteur de l’écologie. Les scientifiques et les chercheurs recherchent de tels partenariats parce qu’ils savent que nous pouvons les aider à valoriser leur travail et à gagner en visibilité.


Vous travaillez aussi avec des associations en région ?

Oui. Je suis plongeuse et j’interagis pas mal avec les gens de ce secteur au quotidien. J’ai suivi une formation avec des acteurs de la pêche et du tourisme marin pour comprendre la Méditerranée, son histoire, son équilibre écologique, et plus précisément les mammifères marins qui y vivent. À Martigues, j’ai rencontré l’association Miraceti qui œuvre pour la protection des cétacées. Avec les cétologues de l’association, nous nous voyons quasiment tous les mois, nous agissons ensemble, nous faisons des projets, des animations, des expositions…


Le fait de travailler avec des ONG a donc beaucoup nourri votre travail artistique ?

Oui, absolument. Humanité et Biodiversité ou Bloom (une ONG qui défend entre autres la pêche artisanale) ont été les premières ONG avec qui j’ai créé un lien humain. Ils m’ont demandé de mettre en dessins leurs activités.

Mon éditrice était en contact avec Claire Nouvian, la fondatrice de Bloom, et nous avons donc pu concocter mon premier ouvrage, L’Âge bleu : sauver l’océan (éditions Buchet-Chastel, 2019).


Dans votre dernier livre, Le Journal anthropique de la cause animale (Futuropolis 2022)vous parlez de moments de prise de conscience lors de vos recherches. Comment êtes-vous venue à l’écologie ?

C’est une vaste question. Je me suis toujours intéressée à ce lien entre art et science, comme si j’avais une sorte de vocation à la Darwin ou à la Haeckel. C’est-à-dire que je suis ce que fais dans la vie, c’est du naturalisme : aller voir la nature, l’étudier, l’observer pour mieux la dessiner. Je suis forcément écologiste parce que mon amour du dessin et celui de la nature sont intimement liés. On ne peut pas voir ce qu’on aime se faire détruire sans agir.


Par rapport aux ONG, quels conseils donneriez-vous à d’autres créateurs qui souhaitent soutenir des associations ou travailler avec elles ?

Il faut aller à leur rencontre. Il y a beaucoup de salons qui le permettent, notamment La Fête de la science où les ONG sont souvent présentes, ou le congrès de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).

Curieusement, je ne vais pas avoir un comportement militant. C’est quelque chose qu’on peut me reprocher, mais je vais plutôt avoir une approche indirecte en passant soit par l’humour, soit par la fiction, voire la science-fiction. Mais je pense qu’il faut de tout. Chacun a sa méthode. La mienne, c’est plutôt de faire passer un message caché, presque insidieusement, et de sensibiliser sans culpabiliser.