Les bibliothèques françaises et les publics issus de l'immigration

Publié le

Deux mémoires d'étude ont été consacrés en 2013 et 2014 à la question de l'accueil des publics migrants et immigrés en bibliothèque. Nous proposons ici des synthèses de ces travaux réalisées par leurs autrices, Lola Mirabail et Lucie Leprevost-Grancher.

Comment accueillir les immigrés en bibliothèque ? La question se pose dans de nombreux établissements de lecture publique. Elle est étroitement liée à leurs missions. Après avoir réalisé un état des lieux de la situation française et interrogé le rôle des bibliothèques dans ce domaine, Lola Mirabail étudie les besoins et les attentes de ce public. Sont-ils spécifiques ? Comment les prendre en compte ?

Ouvertes à tous les publics, promotrices de l’accès à la culture et à l’information pour le plus grand nombre, lieux d’intégration sociale, lieux d’apprentissage et d’exercice de la citoyenneté, les bibliothèques sont logiquement concernées par l’accueil des migrants. Cet accueil fait pleinement partie du rôle civique des bibliothèques et il est affirmé comme tel par la grande majorité des professionnels interrogés dans le cadre de mon enquête.

Cette enquête, adressée à toutes les bibliothèques de communes de plus de 30 000 habitants et à l’ensemble des bibliothèques départementales de prêt, permet de dresser un état des lieux de l’accueil des migrants dans les bibliothèques de lecture publique françaises. Le bilan est contrasté. Un grand nombre d’établissements développe des actions à destination des publics migrants. Pour autant, seule une minorité d’établissements met en place de véritables stratégies d’accueil ciblées. La plupart du temps, les actions développées pour le public migrant sont uniquement des adaptations à la marge des politiques documentaires et de service des bibliothèques. Elles consistent principalement à acquérir des ouvrages pour apprendre le français et à organiser des visites de l’équipement. L’apprentissage de la langue et de la culture française est l’axe d’action privilégié. À l’inverse, le développement d’actions favorisant le dialogue interculturel se heurte à des réticences et à la peur du communautarisme. L’accueil des migrants en bibliothèque est tributaire du volontarisme des élus, ce qui explique, en partie, les différences constatées d’un territoire à un autre.

Mon mémoire propose ensuite des pistes pour repenser l’accueil des migrants dans les bibliothèques de lecture publique. Il est tout d’abord indispensable de cerner ce public et ses besoins. Les migrants ne constituent en rien une catégorie homogène. Certains publics immigrés ont des besoins spécifiques qui méritent d’être pris en compte par la bibliothèque : l’apprentissage de la langue pour les allophones, celle de la culture française pour favoriser l’intégration d’un grand nombre de migrants, la mise en place d’un dialogue interculturel pour faire venir les immigrés se sentant éloignés de la bibliothèque, la prise en compte de la détresse de certains “habitués”…

Un travail doit donc être établi par la bibliothèque pour identifier les besoins de ses publics migrants effectifs et/ou potentiels. L’établissement peut ensuite réfléchir de manière globale à la façon d’y répondre. Divers services peuvent être développés. Les professionnels pourront s’inspirer des exemples français et étrangers évoqués dans ce mémoire. Nouer des partenariats permet de bénéficier d’importants relais et vecteurs d’actions. L’accueil des immigrés est, enfin, une occasion pour interroger les pratiques professionnelles. Celles-ci doivent s’adapter et s’enrichir, notamment par la formation et l’échange avec d’autres établissements.


Synthèse du mémoire d’étude de Lucie Leprevost-Grancher Diplôme de conservateur des bibliothèques Enssib, Université de Lyon, 2013

Lucie Leprevost-Grancher est directrice adjointe de la bibliothèque Robert Sabatier (Paris).

Réalisé durant l’année 2012, le mémoire de Lucie Leprevost-Grancher pour l’obtention du diplôme de conservateur des bibliothèques s’intitule Travailler avec les communautés dans les bibliothèques françaises : pratiques, tabous, évolutions. Ce travail s’appuie sur l’étude des littératures professionnelles française et étrangère, ainsi que sur des entretiens réalisés avec des professionnels des bibliothèques, dans des collectivités particulièrement confrontées aux problématiques liées aux populations issues de l’immigration.

Dans une société de plus en plus cosmopolite, les bibliothèques publiques françaises, pourtant traditionnellement très attachées à un idéal républicain hostile à la notion de communautés, sont confrontées à la question des publics issus de l’immigration. Soucieuses de jouer pleinement leur rôle social et de toucher un public qui soit le plus large possible, un certain nombre d’institutions s’efforcent, depuis quelques années, de rendre leurs services et leurs ressources accessibles à toutes les populations de leur territoire et de faire en sorte que la diversité culturelle de leurs usagers soit représentée dans l’espace de la bibliothèque.

Contrairement à leurs voisines anglo-saxonnes, les bibliothèques publiques françaises formulent rarement leurs actions sous un angle “communautaire”. Elles cherchent néanmoins à faire une place aux publics issus de l’immigration dans ce lieu d’information et de sociabilité qu’est la bibliothèque, en construisant un dialogue avec les partenaires des différentes communautés qui peuplent leur territoire, en proposant des ressources adaptées à leurs besoins et à leurs pratiques culturelles, en représentant la diversité à travers leurs animations. Collections et outils de communication en langue dites “d’immigration”, fonds pour l’apprentissage du français, accueils de groupes en lien avec des associations locales ou communautaires, sont autant de services proposés par plusieurs bibliothèques à destination de ces publics.

Les initiatives de ce type restent cependant le fait d’une minorité d’établissements, dans des territoires particulièrement marqués par les problématiques de l’immigration. Pour la plupart des bibliothèques, la question des communautés est encore très souvent éloignée des réalités et des préoccupations quotidiennes. Si une résistance idéologique persiste dans les esprits d’un certain nombre de professionnels, les freins sont avant tout d’ordre pratique : manque de moyens, difficultés techniques à traiter des collections dans des langues rarement maîtrisées par les bibliothécaires, difficultés à identifier à la fois les populations et leurs besoins…

Pourtant le discours évolue progressivement, en même temps que les actions et les politiques de certaines bibliothèques semblent se structurer et se pérenniser. Imitant leurs collègues anglo-saxons, des associations professionnelles – comme l’ABF ou encore l’association des bibliothèques de Seine-Saint-Denis – ont fait entrer la question des communautés et du multiculturalisme dans le champ de leur réflexion. La construction d’outils et de moyens de collaboration efficaces, l’introduction de cette problématique dans les formations des personnels, une coopération avec les institutions étrangères, sont autant de leviers qui permettraient certainement de faire progresser la prise en compte des publics issus de l’immigration dans les bibliothèques françaises. D’autre part, cette question, inséparable des politiques publiques, impose une mobilisation des collectivités et de l’État pour faire évoluer les missions des bibliothèques.

Plus que de construire des offres de services spécifiques pointant des communautés en particulier, il s’agit de faire de la bibliothèque un lieu public où des populations aux origines culturelles, religieuses et ethniques variées, puissent se voir représentées et trouver des appuis à leur épanouissement, meilleur moyen de lutter contre les dérives communautaristes et contre les discriminations, tout en favorisant le dialogue entre les cultures.

Actions et services en direction des communautés, quelques exemples :

Des collections en langues “d’immigration”

Après une étude de leur territoire et des différentes communautés qui y sont installées, le réseau des médiathèques de Plaine Commune , en région parisienne, ont mis en place une carte documentaire et défini une véritable politique d’acquisition de documents en langues “d’immigration” : la médiathèque John Lennon à La Courneuve dispose ainsi d’un important fonds en langue tamoule, la médiathèque de Stains d’un fonds turc, celle d’Aubervilliers d’un fonds chinois… Ces fonds sont constitués de façon à proposer une variété de documents répondant aux besoins du public. Romans contemporains, romans populaires, ouvrages pour la jeunesse, documentaires sur l’histoire et la culture du pays d’origine, presse qui permette de suivre l’actualité, ouvrages pratiques, ainsi que documentaires sur la France et traductions de classiques de la littérature française, font l’objet d’acquisitions régulières dans ces différentes langues, dans la mesure où la production éditoriale le permet.

Des ressources pour l’apprentissage du français

Complémentaires des collections en langues étrangères, des fonds pour l’apprentissage du français sont proposés dans un certain nombre de bibliothèques à destination des publics non francophones : méthodes de français langue étrangère, fonds d’ouvrages dans un français accessible, et parfois, méthodes électroniques ou en ligne et dispositifs d’autoformation. Certains établissements organisent également des accueils de groupes dans le cadre de partenariats avec des associations et des groupes d’alphabétisation – c’est notamment le cas à la médiathèque Elsa Triolet de Bobigny (93) – ou encore des ateliers de conversation, en invitant, comme à la médiathèque de Montreuil (93), des participants d’origines différentes à pratiquer la langue française dans le cadre convivial de la bibliothèque.

Des outils de communication

Pour les publics issus de l’immigration, et en particulier les publics non francophones, l’accessibilité des services de la bibliothèque passe également par l’élaboration d’outils de communication adaptés, afin qu’ils soient informés des ressources et du fonctionnement de l’institution. Dans cette optique, certaines structures ont édité des guides multilingues présentant leurs services en différentes langues, notamment en langues “d’immigration” ; c’est le cas de la médiathèque Grand M à Toulouse . Le site des bibliothèques de Grenoble propose quant à lui une présentation de son réseau en six langues.

Des animations

Le plus souvent, la diversité culturelle trouve sa place dans la programmation des bibliothèques par le biais d’expositions, de sélections bibliographiques, de projections de films, d’ateliers créatifs, de conférences, de rencontres avec des artistes, de soirées conte, etc. qui sont l’occasion de valoriser différentes communautés et d’inviter au dialogue interculturel.