Relier les diversités
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Relier et relire les diversités. Il est d’usage de comprendre la diversité au singulier, alors qu’elle désigne un pluriel indéfini. Ce paradoxe grammatical laisse croire que ce terme est clair mais ce n’est pas le cas. Il n’y a que des diversités dans la vie réelle : la notion est infinie, diverse elle-même et ça fait peur. Il est donc commode de la limiter à une diversité entre des amalgames supposés homogènes, des groupes “ethniques” des communautés culturelles que l’on feint de croire identifiées. C’est ainsi que la “diversité des cultures” renvoie à des “cultures” considérées comme des totalités, nationales, voire continentales, idéologiques, religieuses, bref à des cultures essentialisées. C’est donc le contraire de la notion de diversité. Pour tenter de relier l’immense richesse de la diversité des diversités, il faut les relire d’une façon continue et croisée : les lire, les déconstruire, les interpréter, les admirer, les réécrire.
Ce défi est au cœur de chaque mission des bibliothèques. Il ne s’agit pas d’offrir d’abord des rayons et des classements, mais des invitations à découvrir et à parcourir des chemins de traverse, de relier, au sens de valoriser mutuellement les diverses diversités, aussi bien celles des œuvres et de leurs supports que celles des personnes. C’est une mission médiation, non pas entre des “cultures”, mais au cœur d’une interculturalité vivante.
“Classer” la diversité ne serait donc pas un défi mais une contradiction qui donne à croire que l’essentiel, le banal, l’ordinaire, le commun, est naturellement homogène, cachant ainsi la force de ce qui est : toujours multiplement divers. À titre d’exemple, la diversité linguistique n’est pas qu’entre les langues connues, elle traverse les mille langages au sein d’une même langue, les genres d’expression, les genres littéraires. C’est le propre de l’écriture que d’inventer de nouveaux chemins de traverse dans une grande maison langagière aux multiples usages, pièces, couloirs et mémoires. Une langue est elle-même une bibliothèque vivante, dans laquelle se croisent, lecteurs, écrivains et écritures sur multiples supports.
En réalité, les diversités se déclinent tout à la fois :
- au cœur et entre les personnes,
- au cœur et entre les disciplines ou domaines culturels,
- au cœur et entre les milieux culturels, ou “écosystèmes culturels” hyper-complexes1.
La notion de diversité change alors de sens ; elle ne se situe plus entre deux essences supposées, mais elle les traverse toutes de multiples façons ; elle fait sauter, ou du moins relativise, leur apparente homogénéité pour révéler dans leurs diversités internes leurs dangereuses ou/et précieuses contradictions. Pourquoi précieuses ? Parce que c’est dans les contradictions que se trouvent nos défis communs, les grands conflits entre valeurs opposées que chacun rencontre à un moment ou à un autre de son existence. L’universel de la dignité humaine n’est pas un plus petit dénominateur commun, une trop simple “règle d’or”. L’universel se trouve dans les contradictions inhérentes à chaque milieu culturel, et à chaque discipline. Par exemple, les relations hommes/femmes, individus/communautés, enfants/adultes, individus/environnement, humains/animaux, sont des oppositions nécessairement universelles auxquelles toute personne et toute communauté tente de répondre, non sans difficultés.
Alors que l’universalité apparaît abstraite, au contraire du particulier concret, la réalité est toute autre : l’universalité implique une intime expérience concrète à la rencontre des diversités ; des femmes et des hommes si différents et pourtant semblables. Et plus, nous entrons dans ce tissage de diversités, plus ils apparaissent comme des sœurs et des frères. La rencontre interculturelle d’une personne âgée qui se remémore sa famille, d’un paysan soignant ses plantations de façon singulière, d’un groupe de personnes dans un atelier de tissage de la soie… mais aussi d’une pratique de corruption, de prostitution… sont autant d’expériences qui nous mettent à la frontière de l’universel et du particulier. C’est précisément ce lieu-frontière que nous cherchons à lire et à écrire : rendre la puissance d’une histoire singulière au point qu’un nombre indéfini de lecteurs et d’écrivains s’y retrouvent.
Entre des cultures essentialisées, il n’y a place que pour du multiculturalisme plus ou moins accommodé de tolérance et de respect mutuel. En diversité complexe, le croisement de ces trois types de diversités, traversant bruyamment ou doucement l’intime de chacun et de ses relations, permet au contraire le tissage des savoirs, la découverte de mille et un chemins de traverse. Relier un ensemble de diversités, apprendre à lire, à les écrire, à les relire, c’est apprendre à vivre et à développer tout au long de sa vie ses capacités d’identification : identifier les choses, les autres, les valeurs et donc soi-même ; c’est exercer ses droits et libertés culturels. Encore faut-il pouvoir puiser dans une grande diversité de ressources d’admiration ; encore faut-il apprendre à se les incorporer. Lire et écrire est un droit fondamental qui est aussi une liberté et une responsabilité, au cœur de tous les droits culturels2.
Le défi de toute écriture est de nouer un texte assez solide et lumineux pour qu’il mérite de durer. Cela n’est possible que s’il trouve et éclaire un croisement de chemins, une texture, d’un sens puissant, un sens qui donne à penser et donc à vivre. Écrire, c’est tenter de relier idées, émotions, expériences en les attrapant comme au filet par leurs liens, en saisissant leurs co-répondances. « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent ». C’est cette réponse mutuelle que le lecteur et l’écrivain cherchent à graver, en réponse à leurs propres corps et à leurs dialogues avec les choses.
Notre culture est notre peau, superficielle et profonde, porosité entre l’intime et l’extime3. Les gestes qui nous touchent vont au cœur lorsqu’ils sont vécus comme authentiques, proches de leur source dans leur justesse. Les gestes que nous offrons, sont de petites gestations de notre intime présenté à un autre, présent, passé ou à venir. Notre puissance culturelle est notre capacité d’être touché et de toucher, d’une façon qui libère des ressources souvent insoupçonnées. Entre nous sont les œuvres, gestes, choses, institutions, autant de façons de partager des savoirs qui comptent, des ressources pour vivre et exercer nos libertés. Faire une œuvre culturelle consiste à contraindre des émotions et des capacités d’expression diverses avec leurs savoirs pour les faire jaillir en une clarté nouvelle. Qu’il s’agisse de personnages, de rêves, ou d’idées ciselées, de couleurs, de parfums ou de sons, de matières et de formes, de temporalités et de territorialités, la dramatisation ou concentration opérée dans l’œuvre fait jaillir une lumière nouvelle dans un cadre contraignant, celui de la photo, de la durée d’une pièce, du temps d’un repas familial, du volume et de la peau d’un bâtiment, du volume et du papier d’un livre, d’une collection, d’une bibliothèque.
Si notre culture est vécue dans et sur notre peau, superficielle et profonde, le corps du livre y correspond presque trait pour trait : écrit d’abord sur des peaux et reliés par une peau, tas d’encre séchée sur du papier, ces “corpus” de savoirs contiennent un infini intime et par le fruit de longs labeurs et de nombreuses privations, le transforment et l’exposent en un extime singulier. Contenus dans des reliures avec couvertures en volumes serrés entre tant d’autres, ils donnent aux lieux qui les protègent en les offrant à lire (librairies, bibliothèques et médiathèques) leur puissance d’hospitalité infinie. Pages, livres, rayonnages, bibliothèques sont des “objets intentionnels” au sens que Bachelard donnait à cette expression : des gestes offerts en attente, des intimes à demi exposés, disposés de façon à se donner à celles et ceux qui peuvent les habiter.
Ces couches de contraintes - ces différents écrins - sont un des chemins obligés de libération de la joie de créer par l’action réciproque en soi et autour de soi de la lecture et de l’écriture. Notre puissance culturelle : être touché et toucher, partager le lire et l’écrire, donner à lire pour donner envie d’écrire. Tout homme a le droit de s’entendre dire : « ton histoire m’intéresse », mais pour cela, il te faut essayer de la dire de la façon la plus juste pour toi en l’écrivant d’une écriture ou d’une autre, sur un support ou sur un autre4.
Un droit culturel est une capacité de participer au partage de ressources culturelles appropriées, c’est-à-dire librement choisies et adaptées5. « Libérer les ressources » signifie dans la même activité les ressources internes à chacun et celles qui lui sont externes : ses capacités de s’exprimer, de lire et d’écrire, et la disponibilité des médiathèques, espaces sociaux et culturels, lieux de formation… Pour libérer les liens entre les ressources personnelles et celles qui sont disponibles dans des choses et des institutions, il faut s’enseigner mutuellement la maîtrise de disciplines culturelles variées.
L’écriture n’est pas l’exclusivité de la littérature, il y a aussi une écriture musicale, une sculpture, peinture et architecture, et toutes sortes de graphies : photographie, cinématographie, scénographie, chorégraphie, etc. Formons l’hypothèse que toute discipline culturelle implique une double technique d’impression/expression, qui elle-même se compose d’une forme de lecture/écriture (gravure lente et stable) et d’une forme de gestualité (oralité, musicalité, mise en scène…) correspondante, écoute/parole. En tout, quatre formes qui se répondent en chaque discipline.
Apprendre à lire et écrire donne accès à une parole et à une qualité d’écoute plus fine, plus aisée et plus précise, qui à son tour crée le besoin de lire et d’écrire. C’est la grande expérience de la réciprocité.
Pourquoi écrit-on ?
Écrire est une nécessité pour graver les éphémères, et montrer les singularités. L’écriture est une ressource active qui permet de développer des capacités d’impression/expression en boucle :
- penser, présenter ce qu’on pense : toute pensée est un cheminement qui va de brouillons en brouillons avec des intuitions plus ou moins fugitives, qui peu à peu peuvent se caler les unes les autres, trouver des points fixes ;
- corriger et garder : saisir des idées qui tiennent, les tisser dans un texte qu’on pourra peut-être présenter ;
- partager : la lecture et l’écriture ouvrent à la grande expérience de réciprocité ; on s’apprend mutuellement l’écho des mots, des émotions et des choses en une infinie correspondance, co-répondance ;
- lire, dire et écouter : écrire développe les capacités et soifs de lire, ainsi que celles d’une parole mieux ajustée, mieux écoutante.
Pour qui écrit-on ?
- Pour soi, pour se connaître et s’orienter en l’impression produite par ses expressions.
- Pour quelques autres, des amis lecteurs, de toujours ou d’un jour, afin de tester la justesse et la puissance de l’écriture.
- Pour tous, enfin, non d’une façon infinie, car toute diffusion est limitée, mais dans l’idée de constituer une “communauté épistémique”, communautés de savoirs partagés, éphémères ou durables, c’est selon. La vitalité d’une culture démocratique réside dans la qualité et la variété de ces “espaces publics” : des espaces qui ne se limitent pas à l’oralité fugitive, mais s’appuient sur la gravité des écritures. Seules les paroles qui atteignent à une justesse étonnante - y compris si elles sont éphémères et légères - méritent de se graver et de demeurer comme des lieux et des instants d’hospitalité.
Sur quoi écrit-on ?
Sur une matière, un espace/temps déterminé, à la fois ouvert et fermé, plus ou moins éphémère ou durable, une “fenêtre” ou/et un “volume” :
- la “fenêtre” de la page blanche ou gravée, de l’écran, de la pierre, du mur, du sol, sa peau, bref une peau en correspondance avec sa propre peau ;
- le “volume” du livre, de la scène, de la rue, de la salle, de la maison, de son corps, bref un corps en correspondance avec son corps propre.
Quelles que soient les disciplines, on écrit sur du corps avec son corps, plus précisément on recherche les correspondances entre écriture intérieure et extérieure, telle est la libération des ressources ; se libère l’impression/expression légère et grave, écoute/parole et lecture/écriture de son corps en correspondance avec celle d’autres corps.
Si les domaines culturels avec leurs disciplines spécifiques se répondent et se fécondent mutuellement, c’est parce qu’ils partagent la même nature culturelle.
Entre écrit et événement
Précisons la dialectique proposée plus haut. Chaque discipline est une écriture. Mais comment désigner l’autre pôle ? Oralité, spectacle, exposition, jeu musical ? Il y a deux gestes : celui qui trace dans le temps et l’espace et celui qui provoque un événement, une rencontre, comme pour l’écrit et l’oral. Les deux gestes complémentaires se nourrissent mutuellement : gestes gravés sur un support et gestes déployés dans un espace-temps éphémère, pouvant se répéter (parole, danse, jeu de scène, musique jouée, film projeté, photos partagées…). Les deux forces de la mémoire : la durée et l’instant (de la fête, ou de la poésie) qui marque la chair vive de sa fulgurance. Les traces permettent le développement des événements ; les événements proposent une nouvelle lecture des traces.
Entre deux fonctions : une fin en soi et un espace pour les autres
Posons encore que toute discipline culturelle est à la fois une fin en soi, une beauté ou aventure pour elle-même, et aussi un outil, espace ou support, volume ou fenêtre, pour les autres. C’est l’art pour l’art, et aussi les moyens artistiques nécessaire à la vie culturelle et à la communication ; la littérature pour elle-même et les livres qui servent de supports à tout ; la photographie pour elle-même et la photo d’identité… C’est aussi la science pour la science et la science utile ; la cuisine pour elle-même et le repas de communication ; le sport en tant que “culture physique” et espace-jeu actif de convivialité. Entre ces deux pôles se définit chaque domaine culturel :
- un espace spécifique avec ses territoires, une écriture particulière potentiellement apte à valoriser tous les autres domaines, avec le risque de former une tour d’ivoire ;
- une nouvelle valorisation des autres ressources, avec aussi les risques de tout réduire à sa discipline, ou au contraire de se dissoudre.
Entre maîtres et disciples, et créateurs alternatifs
Une discipline implique la transmission de savoirs, et donc des maîtres, des disciples et plus généralement des communautés culturelles, ou communautés de savoir au sein desquelles chacun peut expérimenter la richesse des savoirs croisés, de la réciprocité. Mais la rigueur des méthodes, nécessaire à la performance et à la création, ou si on préfère à la fécondité de l’impression/expression, n’exclut pas les créativités autodidactes, celles du peintre, du musicien, du biologiste qui explore un filon nouveau en dehors des écoles. Tous sont en tous cas amateurs, qu’ils soient professionnels ou occasionnels ; aucun n’est cependant assuré, de par sa position de créer une activité « porteuse d’identité, de valeur et de sens ». Il peut échouer.
Mais qu’est-ce qui fait à présent la spécificité de chaque discipline culturelle ?
Sur différentes frontières, volumes et fenêtres
Leur spécificité est dans les limites de leurs fenêtres et de leurs volumes : limites dans l’espace et dans le temps, les rapports aux cinq sens, la façon dont elles permettent le passage de l’intime à l’extime, leur reproductivité.
Chaque territoire est un tissu de frontières, passionnantes et inquiétantes. Tous les pôles de l’identité y sont mis en cause. Chacune des disciplines culturelles propose ce risque. Elles invitent toutes à recomposer le monde, à puiser dans du virtuel, de l’image, du son, du bâti, de l’écriture, de l’image, de la rationalité… pour créer un autre espace, plus intime et plus extime, porteur autrement d’identité de valeur et de sens.
Le numérique n’est pour beaucoup rien de plus qu’un super-outil. Mais peut-on changer à ce point d’outil sans toucher aux fondamentaux de la communication culturelle ? Le domaine numérique ne constitue-t-il pas aussi un espace culturel spécifique, lieu de disciplines nouvelles ?
C’est en tous cas une bonne occasion pour les médiathèques de repenser la chaîne corps-livre-bibliothèque, comme lieu papier numérique, architecture, cet espace culturel d’hospitalité fait de toutes sortes d’écritures, cet espace mixte de médiation et d’hospitalité. Sa richesse dépend de cette correspondance des matières et des contenus ; c’est elle qui permet l’éveil de l¹intelligence des sens. Quels que soient les supports, pourvu qu’ils se complètent. Ce qui compte est que la pratique de l’écriture/lecture soit favorisée au mieux, au point que personne n’en soit privé. Tel est l’enjeu, vital pour chacun, des droits culturels.
Aucune des questions posées par le domaine numérique sont en elles-mêmes nouvelles, mais c’est de façon largement renouvelée que tous les fondamentaux y sont bousculés. Ses frontières sont hyperfluides, peut-être est-ce le point principal. Tous les pôles de l’identité y sont mis en cause.
Nous pouvons interroger cette sphère de façon très approximative avec les entrées suivantes, toutes fondamentales.
- Modification accélérée des distances spatiotemporelles.
- Volume de données en augmentation accélérée (incontrôlable ?) ; liberté d’information ou “bruit”(désinformation et mésinformation) ?
- “Dématérialisation” : virtualisation ou autre rapport avec la matière-énergie ?
- Extrême porosité de la frontière privé/public.
- Communautés d’échanges de savoirs, ou individualisme de masse ?
- Communauté d’échange de biens et de services, ou société de consommation effrénée à flux tendu ?
- Extrême prégnance et malléabilité de l’image (est-ce un redéploiement du virtuel que tout art contient ?).
- Décérébration et risque des automatismes, ou réalité augmentée (autre définition du virtuel ?).
Avec notre méthode participative d’observation-apprentissage-élaboration, nous puisons dans cette logique de réseaux évolutifs et de valorisation des savoirs et nous repoussons la tentation de l’automatisme des bureaucraties qui s’appuient sur le numérique et sa prétendue neutralité. Nous cherchons à valoriser le virtuel - au sens de potentiel - de chaque ressource, mais avec une médiation intelligente au centre, un “logiciel” qui ne traite pas que des données, mais qui met en co-développement des libertés instruites, qui ne déterritorialise pas, mais permet une intelligence plus libre des territoires, des rapports aux choses et aux corps.
Chaque discipline culturelle n’est-elle pas une sorte de “logiciel humain”, une façon de nouer les logiques ? N’est-elle pas, avec les œuvres qu’elle produit, entretient, valorise et multiplie, un “métier à tisser” les libertés ? À la fois soft et hard, si spirituel et libre, si matériel et puissant ? Il convient de faire et de refaire l’éloge des disciplines culturelles, car ce sont les voies obligées de libération. Mais à condition de les laisser elles-mêmes libres de se développer aussi hors des académies et des écoles, de naître et de renaître lorsque des hommes et des femmes ont trouvé une nouvelle justesse qui peut devenir ressource pour d’autres. Les disciplines sont les enveloppes amicales de nos libertés.
1L’interculturalité peut alors être comprise comme la meilleure valorisation possible des différentes formes de diversité culturelle, non seulement par les origines, mais aussi par les histoires personnelles, les compétences et les métiers. Il est essentiel de croiser les diversités culturelles qui viennent des origines géoculturelles, ethniques et celles qui viennent des métiers, des disciplines culturelles pratiquées, et surtout des histoires personnelles. Ce croisement permet de sortir complètement du multiculturalisme et de son essentialisme. Cela n’autorise pas à nier les distinctions, mais à les croiser de multiples façons.
2 Voir la Déclaration des droits culturels, dite “Déclaration de Fribourg”, texte issu de la société civile qui rassemble et présente les droits culturels éparses dans les différents instruments juridiques internationaux. Nous avons proposé cette définition : « Les droits culturels désignent les droits et libertés pour une personne, seule ou en commun, de choisir et d’exprimer son identité et d’accéder aux références culturelles comme à autant de ressources qui sont nécessaires à son processus d’identification, de communication et de création. ». MEYER-BISCH, BIDAULT, 2001, Déclarer les droits culturels. Commentaire de la Déclaration de Fribourg. Zurich, Bruxelles, Schulthess, Bruylant, § 0.12 et 3.8. Voir notre site portail : www.droitsculturels.org et droitsculturels.org/observatoire
3 Intimus signifie en latin ce qui est le plus en dedans, le plus intérieur, et extimus : à l’extrémité, le plus éloigné, voire, dédaigné, méprisé. Le superlatif indique à la fois la description d’un maximum et une qualité qui justifie ce maximum. Est extime ce qui s’expose sans perdre le secret de son intériorité par l’art d’un geste ou d’une gestuelle adressée à un autre ; c’est une découverte qui doit être partagée pour être comprise par soi, par la médiation d’autres à qui on s’adresse et qui nous offrent leur attention, leur même soif de savoir. L’extime suppose que l’intime est compris et traduit dans sa puissance d’universalité. C’est tout le mystère de la culture qui se trouve ainsi dans cet adjectif étonnamment presque pas utilisé.
4 Dans Histoires vraies du dedans. Collectées auprès de personnes détenues (ArL Paca, 2016), des détenus expriment en textes courts des fragments de leur histoire. C’est assez pour qu’ils sortent de l’anonymat, nous interpellent sur les hasards de leurs chemins cabossés et sur l’autre anonymat, celui de nos sociétés aveugles. Écrire du dedans, il n’y a pas d’autre façon d’écrire, car il y a des murs à percer.
5 Je reprends et modifie légèrement ci-dessous une introduction que j’avais écrite, sous le titre « les écritures se répondent » en ouverture à l’un de nos chantiers au sein du programme Paideia d’analyse des politiques publiques au regard des droits culturels : « Ouvertures de chantiers », 2016, pp. 40-41 : droitsculturels.org/blog/category/actualites