Livre jeunesse et écologie : l'exemple des éditions du Ricochet

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Natalie Vock-Verley, la directrice de la maison d'édition varoise, explique comment les sujets de société, la science ou l'illustration permettent d'aborder l'écologie. Par-delà le contenu, la thématique nous invite à réfléchir sur les enjeux de fabrication et du travail avec autrui. 

Fondées en 1995, les éditions du Ricochet, dont le siège social se trouve à Tourtour (83), sont spécialisées dans le livre jeunesse, et surtout le documentaire. Natalie Vock-Verley est depuis cinq ans la directrice de la maison, qu’elle a rejoint en 2009.

Natalie Vock-Verley : Les éditions du Ricochet sont à la fois une maison familiale, indépendante, avec une équipe très dynamique de 5 personnes. Nous la façonnons depuis des années pour une jeunesse de plus en plus impliquée dans les enjeux de notre monde en constante évolution. Notre catalogue couvre aujourd’hui tous les âges, de la maternelle jusqu’aux grands ados, voire les jeunes adultes.

Avec le temps, nous avons creusé un sillon dans le documentaire qui caractérise le plus notre maison. On s’est beaucoup consacré aux sciences, à l’environnement, à l’écologie et aux sujets de société, comme l’égalité filles-garçons ou la laïcité. Notre savoir-faire dans le livre illustré nous permet d’explorer tout cela sous différentes formes graphiques.


Sur vos quatrièmes de couverture, le mot « écologie » est assez peu présent. On voit beaucoup plus les termes « nature », « planète » ou « climat ». Quel est la place que vous accordez à l’écologie dans vos collections ?

C’est exact, on n’a pas beaucoup utilisé ces termes. Pourquoi ? Parce qu’on s’adresse aux jeunes, aux enfants. Les thèmes écologiques sont bien présents mais notre première intention, c’est de partager la culture scientifique. C’est à travers cet axe qu’on a commencé à parler des écosystèmes dans Mon grand voyage, par exemple. Nous préférons parler des écosystèmes qui évoquent les interactions entre les êtres vivants plutôt que de « biodiversité », qui est de l’ordre du catalogue.

Ce qu’on veut faire, c’est mettre en jeu la réflexion des enfants, leur raisonnement. Dans Chaude la planète, qui est un album de fiction pour enfants sur le réchauffement climatique, Sandrine Dumas Roy aborde le thème d’une façon humoristique. C’est une fable animalière, à la manière de Jean de la Fontaine. L’approche technique n’aurait pas vraiment sa place dans ces albums, leur lecture doit rester un divertissement et un moment de plaisir.

D’ailleurs, dans notre collection pour adolescents qui s’appelle POCQQ (Pourquoi ? où ? Comment ? Quand ? Qui ?), nous n’avons pas publié de titre spécifiquement sur l’écologie. La question y est traitée de manière transversale. On la retrouve dans Que dit la mode ?Où va l’économie ?, Pourquoi la conquête spatiale ?


Depuis quelques années, on a vu une explosion de l’offre éditoriale sur l’écologie. Comment les éditions du Ricochet se distinguent-elles dans ce paysage éditorial en pleine évolution ?

Je pense que nous étions parmi les premières maisons d’édition à proposer des ouvrages à destination des enfants en choisissant l’angle de l’émerveillement. Notre premier livre sur la chaîne alimentaire et les équilibres entre les espèces, Le tigre mange-t-il de l’herbe ?, date de 2007.

Aujourd’hui, ce segment s’est beaucoup développé, et ce qui caractérise le plus les éditions du Ricochet, c’est son approche scientifique. Notre travail sur le texte et l’illustration est exigeant, nos auteurs n’hésitent pas contacter des chercheurs pour actualiser des connaissances. Je vais prendre un exemple : pour La grande barrière de corail, l’autrice, Marie Lescroart, apporte des informations inédites dans la littérature jeunesse sur l’exploitation des coraux, la démarche des scientifiques pour les étudier…
Avec Où va le climat ?, pour les adolescents, l’autrice Claire Lecoeuvre complète l’approche scientifique par des questions plus politiques. Elle met l’accent sur des initiatives individuelles, notamment des jeunes, mais sans omettre les aspects politiques plus collectifs comme le mouvement citoyen.

De manière générale, nous nous efforçons de problématiser les sujets, de donner à l’adolescent les arguments “pour” et “contre”, pour pouvoir répondre aux climatosceptiques par exemple.


Votre devise est « De l’émerveillement à la connaissance »... Quel est le rôle de l’émerveillement dans la sensibilisation des jeunes lecteurs à ces enjeux ?

Les jeunes lecteurs sont avant tout attirés par les illustrations quand ils s’emparent d’un livre. Donc l’émerveillement, c’est ça, c’est travailler des grands formats qui donnent la part belle à l’illustration et qui offre aux enfants l’occasion d’observer des illustrations extrêmement précises comme les aquarelles de Capucine Mazille. Ces détails les fascinent. En octobre, paraîtra le prochain album d’Emmanuelle Houssais, Forêt sauvage, où une forêt retrouve sa nature spontanée, telle qu’on peut la trouver en France aujourd’hui. Pour les enfants, c’est une plongée dans tous les détails de la forêt ; c’est ça, l’émerveillement. Et le texte y contribue aussi. Aux éditions du Ricochet, on travaille l’écriture d’une façon plutôt poétique, ciselée, ce n’est pas une écriture froide et factuelle.


Certains des livres et des expositions que vous proposez abordent des questions difficiles, complexes, même anxiogènes, comme le changement climatique. Quel est votre approche pour informer et sensibiliser les jeunes lecteurs aux aspects plus sombres de la crise écologique ?

Pour les adolescents, nous passons souvent par une approche historique. Pour le climat, expliquer la différence entre la météo et le climat, les mécanismes du réchauffement, ça permet de mieux comprendre. Mieux comprendre, ne va pas forcément apaiser les anxiétés, mais au moins on va vers une connaissance plus précise. On ne peut pas cacher la vérité aux jeunes. Mais en évitant un discours culpabilisant, je pense qu’on allège un peu l’inquiétude.

Dans La Grande Barrière corail, on présente aussi beaucoup d’actions de scientifiques de redéploiement, repeuplement des récifs coraliens. C’est quelque chose qui prend du temps et on ne sait pas à quel point ça peut marcher, mais il y a des missions qui sont en cours. On se dit aussi que ce type d’ouvrages pourront créer des vocations professionnelles.

Une autre de nos publications, Une Planète verte, raconte les énergies renouvelables. Sandrine Dumas Roy adopte une approche plutôt technique, mais elle permet aux jeunes lecteurs de se projeter dans des métiers du futur. Je trouve que c’est là aussi une façon de calmer l’anxiété. La question devient : « quelle est ma place plus tard, en tant qu’adulte ou dans mes études ? Comment je peux me situer par rapport à tout ça ? » Ça ouvre beaucoup de pistes de réflexion.


Sur votre site, il y a un annuaire des animations et ateliers qui sont proposés par vos auteurs et illustrateurs. Y-en-a-t-il autour de l’écologie ?

Oui, Sandrine Dumas Roy, l’autrice de Chaude la planète, propose un atelier « écriture et écologie ». Marie Lescroart, qui écrit à la fois pour les tout-petits et les adolescents, anime plusieurs ateliers - de la maternelle jusqu’aux pré-ados. Les enfants peuvent se mettre dans la peau d’un scientifique ou d’un journaliste pour enquêter sur un écosystème ou un milieu.

Pour les plus petits, on peut passer par l’illustration. Par exemple Chloé du Colombier, illustratrice de la collection « éveil nature » (dès 2 ans), va jouer sur la créativité artistique. Encore une fois, on ne va pas prononcer le terme « écologie », mais il sera présent partout. En intervenant auprès des enfants, nos auteurs et illustrateurs apportent une contribution importante pour éveiller la conscience écologique des enfants, notamment grâce aux discussions qu’ils vont avoir ensemble.


Quels conseils donneriez-vous à une librairie ou une bibliothèque qui souhaite construire un rayon « écologie » pour ses jeunes lecteurs ? Quelles sont des approches possibles ou des thèmes essentiels, selon vous ?

Ce que je vois, c’est plutôt des rayonnages documentaires - c’est variable, mais quand même, je me réjouis de voir que le documentaire trouve une belle place dans les librairies et les bibliothèques. Aujourd’hui, on trouve souvent des classements thématiques comme « les animaux », « le corps humain », « les religions »… des thèmes dont on sait qu’ils peuvent être demandés par les parents. Je pense qu’il faut surtout que l’on pourrait développer davantage de catégories autour du vivant, « le climat », « les plantes »…  mais aussi « l’engagement citoyen »…

Je ne ferais pas un rayon qui s’appelle « rayon écologie », en fait. Je proposerais de mieux développer les thèmes liés à la nature, l’amour et la passion de la nature, et la compréhension du monde du vivant, plutôt que la grande catégorie « écologie » qui ne passerait pas très bien en jeunesse.


L’édition jeunesse souffre particulièrement de défaillances : beaucoup de livres sont imprimés à l’étranger, notamment en Asie, sur des papiers d’origine incertaine, puis parcourent de longues distances... Comment faites-vous pour faire face à ces défis ?

Tous nos livres sont imprimés en Europe : en France, en Espagne ou en Pologne. Nous avons fait ce choix depuis le début, sans parvenir à tout fabriquer en France pour maintenir des prix de vente accessibles et nos tirages restent modestes. Nous utilisons toujours des papiers certifiés et des encres végétales.
Mais notre vrai engagement écologique, c’est de ne jamais avoir recours au pilon. Nous rénovons nos livres défectueux, les retours des invendus en librairie et les remettons dans le circuit. C’est un service qui passe par un sous-traitant et qui coûte un certain prix.
Pour éditer le Livre Vert, 20 noisettes pour Hector, de la ville du Mans l’année dernière, nous avons suivi un protocole écologique très strict, travailler avec du papier recyclé sans utiliser de produits chimiques. C’était un papier français fabriqué dans les Vosges, recyclé, écologique, et le livre a été imprimé en France. Toutes les cases étaient cochées ! Mais pour être très honnête, ce protocole a pu être tenu car il s’agissait d’une commande publique.


Comment intégrez-vous l’écologie matérielle (qui concerne la fabrication) de vos livres avec l’écologie sociale (le bien-être de vos employés, auteurs), et la coopération avec le reste de la filière ?

Ce qui fait l’écologie matérielle de nos livres, c’est aussi la longévité des titres. C’est-à-dire qu’on maintient des titres dans notre catalogue pendant cinq, dix ans et qu’on les réimprime. Bien maîtriser le nombre de nouveautés et bien défendre dans la durée l’ensemble de notre catalogue, c’est essentiel dans une démarche écologique, surtout face à la surproduction éditoriale. Pour ce faire, nous avons bien sûr besoin du soutien des libraires et des bibliothèques.

Nous sommes aussi dans une écologie sociale vis-à-vis de nos auteurs. De manière générale, quand nous travaillons avec un auteur ou un illustrateur à long terme, nous publions ensemble une nouveauté tous les 18 mois ou tous les 2 ans. Cela permet de promouvoir leurs livres dans la durée, de remettre en avant leurs titres plus anciens et de les réimprimer régulièrement.

La situation économique des auteurs est difficile, mais lorsque les titres plaisent et sont défendus, en France ou à l’international, les droits d’auteur suivent. C’est aussi notre contribution à l’écologie sociale du livre. Pour information, sur notre chiffre d’affaires, la part des droits d’auteurs représente environ 18 % contre une moyenne de 11 % dans le secteur. Ce pourcentage remarquable est rendu possible grâce au travail de fonds que l’on fait sur notre catalogue. À terme, tous les co-créateurs sont associés aux succès de nos éditions !