La librairie coopérative : un modèle social et solidaire ?

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Pour assurer la pérennité de leur métier et leur bien-être au travail, de plus en plus de libraires indépendants se tournent vers des modèles alternatifs sociaux et solidaires, dont la coopérative. En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, cinq librairies de ce type sont apparues en cinq ans.

Au-delà de son aspect matériel, l’écologie du livre est aussi une question d’écologie sociale ; elle s’intéresse à la qualité de vie des vendeurs passeurs du livre et la façon dont les différents acteurs de la chaîne se soutiennent pour garantir sa diversité et sa durabilité1.

Les libraires indépendants, garants de cette diversité éditoriale, mettent à disposition une large sélection d’ouvrages. À la différence des grandes surfaces organisées au niveau national, les librairies indépendantes proposent des espaces d’échange et une offre adaptée à leur lieu de vie.

Leur situation financière, souvent fragile, menace le bien-être des libraires comme la diversité du monde du livre. La librairie indépendante souffre notamment de la concurrence des grandes surfaces, des plateformes de ventes en ligne et d’autres changements dans l’économie du livre qui tendent vers l’industrialisation et l’uniformisation.

Face à ces dynamiques souvent destructrices pour la qualité de vie des professionnels et pour la santé de la filière, des modèles économiques alternatifs offrent un moyen d’aborder autrement le métier de libraire.


Qu’est-ce qu’une coopérative ?

Une coopérative est une entreprise composée d’associés qui se regroupent afin de satisfaire des intérêts communs. En France, ce modèle fait partie de « l’économie sociale et solidaire » qui, selon le ministère de l’Économie, « désigne un ensemble d’entreprises (…) dont le fonctionnement interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d’utilité sociale. »

Une particularité de ces entreprises est qu’elles « adoptent des modes de gestion démocratiques et participatifs ». L’utilisation des bénéfices qu’elles réalisent est aussi strictement encadrée : le profit individuel y est proscrit et les résultats sont soit réinvestis, soit redistribués aux associés. En d’autres termes, ces modèles alternatifs sortent de l’économie conventionnelle pour se réorienter autour d’un objectif social partagé.

Différents types de sociétés coopératives permettent également aux salariés, clients ou même aux collectivités publiques, de devenir des coopérants et de participer à la gouvernance en achetant des parts de l’entreprise. En France, il existe deux modèles de coopérative, la Scop et la Scic, dont les différences seront abordées plus loin.

Plusieurs motivations peuvent amener une librairie à devenir une société coopérative au lieu d’une SARL ou une SAS plus conventionnelle.

Souvent, cette alternative est envisagée quand on ne parvient pas à trouver un repreneur. En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, c’était par exemple le cas de la librairie Les Pléïades à Colmars-les-Alpes (Alpes-de-Haute-Provence), rachetée collectivement par les habitants de la vallée en 2022.

La coopérative peut aussi être une alternative désirable pour les librairies en milieu rural ou dans un autre contexte qui limite le volume des ventes. Avant que sa librairie ne devienne une Scic en 2017, par exemple, Cédric Lepécuchelle, gérant de Caractères libres à Aups (Var) témoignait : « Depuis l’ouverture…les ventes progressent, mais elles ne sont pas suffisantes pour me permettre de développer davantage la masse salariale. C’est éprouvant et je sens que je ne peux plus tout porter seul. » La solution coopérative s’est donc présentée comme une issue possible pour assurer la pérennité de sa librairie.

Enfin, certains libraires choisissent ce modèle par engagement. C’est le cas de la librairie La Rumeur des Crêtes à Cadenet (Vaucluse) qui a ouvert ses portes en 2021 sous forme de Scop. « Pour nous, c’était un choix politique. C’est une forme de société qui donne le pouvoir à ceux qui l’anime », affirme le co-gérant Antoine Frey.


Scop ou Scic : quel type de coopérative ?

Avant de se lancer, les coopérants potentiels se doivent de bien choisir entre les deux types de société coopérative proposés en France. Chacune de ces options soutient une vision différente de l’aventure collective.

La société coopérative de production (Scop), est un modèle solidaire plus « classique » : elle rassemble des associés qui partagent au moins un intérêt commun et seuls les salariés peuvent devenir associés. Ce modèle est donc bien adapté pour les gérants qui cherchent une formule solidaire et sociale, mais qui ne veulent pas impliquer des investisseurs ou des coopérants extérieurs.

« Une Scop permet de mettre en place des garde-fous à des comportements spéculatifs et de réinvestir les bénéfices dans l’entreprise, ou de les partager avec les salariés qui font vivre la librairie. C’est aussi pratique : les gérants peuvent accéder au chômage en cas de changement d’emploi. »
Antoine Frey (Rumeur des Crêtes)

Pour les projets davantage tournés vers l’extérieur, une société coopérative d’intérêt collectif (Scic), peut mieux convenir. Dans ce modèle, la société rassemble des coopérants partageant « un intérêt collectif d’utilité sociale qui va au-delà de l’intérêt de ses membres », selon le ministère de l’Économie. Toute personne physique ou morale peut être associée à une Scic, y compris des collectivités publiques, les salariés, ou les clients. Par exemple, dans le cas de la librairie Le Bateau Blanc à Brignoles, Scic depuis 2021, intérêt collectif rime avec l’animation du centre-ville. La librairie figurant parmi les acteurs les plus importants, la ville de Brignoles et l’agglomération Provence verte font donc partie des principaux associés.


Quels sont les avantages et inconvénients du modèle coopératif ?

L’avantage principal de la librairie coopérative est qu’elle permet de partager le poids économique de l’entreprise tout en assurant une meilleure qualité de vie pour les libraires.

Dans un Scic, par exemple, les coopérants bénévoles peuvent notamment devenir une source d’aide précieuse pour la librairie, permettant aux libraires de consacrer plus de temps à leur cœur de métier. Dans certains cas, les bénévoles se relaient pour tenir la librairie, aider à l’organisation des animations, réceptionner les cartons, développer les réseaux sociaux, ou même participer à la rénovation de la structure.

Un modèle coopératif peut aussi renforcer les liens entre la librairie et son territoire, permettant de créer un lieu de vie animé davantage par un esprit collectif et solidaire. La participation des coopérants joue un rôle important dans ce rapprochement : «Le fonds ressemble de plus en plus aux sociétaires et à la vie culturelle de la vallée », remarque Élisabeth Auptel, des Pléïades. « Nous avons des groupes de veille littéraire par thèmes, nous recevons quasi quotidiennement de nouvelles demandes, et suite à ces retours, nous avons aussi choisi de développer la papeterie et les beaux-arts, d’intégrer quelques jeux de société. Un vrai “Cultura” éthique et militant ! »

Enfin, créer une coopérative permet également de faire partie d’un réseau d’entreprises du même type qui peuvent être une source de soutien, de conseil et de partage.

Mais il existe aussi des inconvénients : au sein d’une coopérative, le ou la libraire ne décide pas seul. L’accord des coopérants, nécessaire pour certains choix de gestion, rend souvent la prise de décisions plus longue que dans une entreprise traditionnelle.

Autre écueil, les coopérants peuvent agir sur le choix du fonds, des titres de la librairie, de la nature des produits proposés sans forcément que les libraires approuvent ces choix, rendant parfois plus compliqué la cohérence d’un fonds ou pire, la politique d’achats.

Et si effectivement, ces statuts rendent obligatoires la répartition du bénéfice de la structure entre les salariés et l’entreprise, cela peut être à double tranchant pour l’activité économique elle-même. Car la seule manière de faire progresser les fonds propres d’une entreprise, une fois que le capital social a été versé, est le report du résultat au niveau des capitaux propres. L’amputer de moitié dans les premières années de la création (ou de la reprise) réduira d’autant la capacité de l’entreprise à financer ses investissements, honorer ses dettes, développer son fonds, consolider son économie et donc, pourrait à terme remettre en cause sa pérennité.

D’autres librairies aux statuts plus “conventionnels” (SAS, SARL par exemple) soulignent aussi une forme de distorsion de concurrence lorsque les deux natures d’entreprises coexistent dans une même ville. Quand les adhérents d’une Scop ou d’une Scic peuvent tenir des stands sur des salons, animer des rencontres, participer à l’inventaire, tenir les comptes, livrer des collectivités ou bien encore être en caisse, cela est juridiquement impossible dans le cadre d’une structure traditionnelle.

Tous ces points devront donc faire l’objet d’une réflexion et d’un accord préalable.

Rappelons également que les statuts de Scop et Scic ont été conçus prioritairement pour permettre la pérennité d’industries bousculées par la conjoncture, faciliter les reprises par les salariés, le maintien des emplois et laisser le temps à ces établissements de se réinventer.