Bibliothèques vertes, actrices de la transition écologique ?

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Depuis de nombreuses années, des bibliothèques en région Provence-Alpes-Côte d’Azur cherchent à réduire leur impact environnemental et à devenir des centres de ressources pour l’écologie au sein de leurs territoires.

La médiathèque municipale de Mouans-Sartoux et la médiathèque municipale de Venelles en sont deux exemples. Leurs efforts s’inscrivent dans un contexte régional et national où les bibliothécaires se posent collectivement la question de l’écoresponsabilité de leurs services. Pour les bibliothécaires du Sud, les expériences de leurs collègues peuvent servir de sources d’inspiration.


Quel est l’état des lieux en région ? 

Lors d’une enquête sur l’écologie et la lecture publique lancée par l’Agence régionale du livre en juin 2022, une soixantaine bibliothèques de la région ont répondu.

  • 28 (45 %) affirment avoir engagé des solutions spécifiques pour réduire leur impact environnemental
  • 41 (66 %) mènent des actions en interne pour réduire leur impact écologique
  • 46 (73 %) couvrent leurs collections de film plastique, alors que 16 (25%) varient leur politique selon la collection, et 1 bibliothèque (3,7%) n’utilise pas du tout de film
  • 47 établissements (parmi les 50 qui ont répondu à cette question) ont mis en place un système de recyclage spécifique pour leurs livres désherbés, contre 3 établissements qui n’ont pas de système de recyclage
  • 15 (24 %) requièrent un critère écologique dans leur marché du livre
  • 50 (79 %) déclarent avoir un fonds spécifique autour de l’écologie
  • 34 (54 %) programment des rendez-vous spécifiques autour de l’écologie
  • 34 (54 %) bibliothèques disposent d’une grainothèque.


Quelles sont les principales approches au niveau national ?

Dans les réflexions nationales sur la bibliothèque verte, deux approches complémentaires se distinguent.

Une première tendance l’aborde comme un défi matériel, cherchant à limiter l’impact environnemental des services. Cet état d’esprit est visible dans les objectifs de la commission Bibliothèques vertes de l’Association des bibliothécaires de France (ABF). Créée en 2022, la commission « s’intéresse à la manière dont les bibliothèques, en France, travaillent ces enjeux d’éco-responsabilité et/ou peuvent développer des démarches vertueuses ». Elle vise à documenter les initiatives existantes et à accompagner les bibliothèques dans la réduction de leur empreinte écologique, avec en prévision, une liste de fournisseurs éco-responsables et un guide des bonnes pratiques.

Une deuxième approche voit la bibliothèque d’abord comme potentiel centre de ressources ou d’actions collectives en faveur d’une société écologique. L’initiative « Bibliothèques françaises et Agenda 2030 », créé par cinq grandes structures du milieu, en est l’exemple principal. Elle vise à « montrer que les bibliothèques sont déjà des actrices du développement durable » - notamment parce qu’elles proposent un accès gratuit à l’information et à la technologie et accompagnent diverses initiatives sociales et écologiques. Le site du projet propose de nombreuses ressources pour aider les bibliothèques à financer leurs actions et sensibiliser leurs usagers.

Ces approches complémentaires - la bibliothèque centre de ressources et cible d’optimisation environnementale - se trouvent aussi dans les projets menés en Provence-Alpes-Côte d’Azur.


Deux exemples de bibliothèques vertes en région

Construite en 2001, la médiathèque municipale de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) s’inscrit dans un projet de longue date mené par la commune. À travers son « Agenda 21 », la mairie s’engage dès les années 1990 pour le développement durable. C’est notamment la première commune de France à proposer une cantine 100% bio à ses élèves, représentant 1 200 repas distribués chaque jour.

Un bâtiment exemplaire. Conçu comme un bâtiment HQE (voir l’encadré) par l’architecte Philippe Gazeau, le pôle culturel de la ville accueille un cinéma et la médiathèque. Le fruit d’une réelle réflexion autour de l’économie d’énergie, l’orientation du bâtiment et le placement des fenêtres permet notamment d’éviter le surchauffement en été. Des panneaux photovoltaïques fournissent une partie de l’énergie dont le bâtiment a besoin. Il s’agit avant tout d’une médiathèque pensée en cœur de ville pour favoriser l’accessibilité (à pied, en vélo, en trottinette, en bus, en train, tous les moyens doux sont possibles) sans oublier l’intégration permanente du lien social avec son grand parvis et ses différents espaces appropriés à l’échange et aux rencontres.

Des agents éco-responsables. Dans ses pratiques quotidiennes, la médiathèque cherche à réduire au maximum son impact environnemental. Quand la médiathèque est fermée au public, seulement 30 % de son éclairage est utilisé, juste assez pour permettre aux bibliothécaires et agents de travailler confortablement. Les agents de la commune portent aussi une attention particulière à l’utilisation du chauffage et de la climatisation ainsi qu’aux pratiques de tri sélectif (dont le compostage).

Une collection écologique, dans la mesure du possible. Un large fonds spécifique, ainsi qu’une collection importante intitulée « mode de vie durable », font de la médiathèque un lieu de ressources documentaires où le public peut venir s’informer sur tous les enjeux de l’écologie. (Pour en savoir plus, voir dans ce dossier « Créer un rayon écologie qui vous ressemble » .

Au niveau des gestes pratiques, l’équipe de la médiathèque ne couvre pas systématiquement ses livres de plastique, procédant au cas par cas ou par collection. De plus, une équipe de bénévoles répare les livres endommagés pour leur permettre d’être empruntés plus longtemps. L’usure rapide reste cependant un défi dû à des problèmes de production. « Aujourd’hui, nous nous confrontons à plus de 5 % des livres qui se désintègrent dès leur première lecture, affirme Clément Morlot, le directeur de la médiathèque. Toute la partie collage, la fixation des pages, est de moins en moins bien faite. »

Par ailleurs, il y a une vraie réflexion sur la manière de donner une seconde vie au livre, avec 7 « livres services » répartis dans la commune. La médiathèque collabore également avec une société qui revend les ouvrages en livres d’occasion et qui reverse 10 % du chiffre d’affaires à l’association Bibliothèques sans Frontières.

Comme les autres professionnels du livre, la médiathèque fait face à une production éditoriale de plus en plus importante qui dépasse la demande des lecteurs depuis de nombreuses années. Pour Clément Morlot, il faut trouver le juste milieu : « Quelle est la durée d’une nouveauté ou celle du livre lui-même ? Du point du vue du développement durable, il est important de trouver le bon équilibre sur la durabilité du livre dans le temps. Nous ne valorisons pas que des nouveautés, un document peut être pertinent 10 ans après sa parution ! Alors lui aussi nous le valorisons au même titre que les dernières parutions. »

Des actions culturelles. Au-delà du livre, la médiathèque de Mouans-Sartoux est un lieu de ressources pour les associations du territoire. La médiathèque participe ainsi à plusieurs événements, comme le festival Envie d’Ailleurs (comment voyager autrement), la Fête de la Science, La semaine du cerveau et de nombreux autres. Bien sûr, la médiathèque participe également au Festival du Livre de Mouans-Sartoux qui traite des sujets majeurs du développement durable depuis sa première édition il y a 35 ans. Il s’agit du quatrième festival du livre de France, qui souscrit à la charte COFEES pour les festivals éco-responsables et décerne, parmi d’autres, un Prix du livre engagé pour la planète. L’occasion d’aborder, tout au long de l’année, le sujet de l’écologie à travers des débats, des conférences, des projections, des films…

En projet depuis 2017, la nouvelle bibliothèque de Venelles (Bouches-du-Rhône) ouvrira ses portes au printemps 2023. Cette réalisation ambitieuse, menée par la directrice Elisabeth Arquier Chauvin et son équipe, tourne autour des trois axes du développement durable - écologie, économie et social. Tout comme pour Mouans-Sartoux, la bibliothèque s’inscrit dans un projet de long cours de la commune, qui s’engage sur ces thématiques depuis plus de vingt ans.

Un jardin pédagogique. À l’extérieur, la bibliothèque accueillera des jardins urbains qui serviront à la fois d’espaces de détente et d’outils pédagogiques. « Nous avons insisté pour qu’on plante surtout des essences méditerranéennes qui demandent peu d’eau. Le jardin peut donc aussi devenir un espace de découverte de la flore locale avec l’organisation d’ateliers en lien avec le service développement durable de la ville », raconte la directrice.

Transports doux et accessibilité. Le projet vise également à favoriser l’accès par les transports doux. Des racks à vélo seront à disposition. La bibliothèque proposera le prêt de cadenas et une station de réparation pour vélos. Avec l’aide de la commune, les abords seront aménagés pour faciliter l’accès à pied : « La médiathèque quitte le vieux centre pour s’installer sur une grande avenue très passante, explique Élisabeth Arquier Chauvin. Actuellement, il faut traverser la rue plusieurs fois pour suivre le trottoir depuis le centre, ce qui n’est pas idéal pour les personnes en situation de handicap ou des familles avec poussette. Des réaménagements sont donc en prévision. »

Un projet social et écologique. La bibliothèque proposera aussi des services et ateliers pour aider les usagers à aller vers une consommation plus raisonnable. L’équipe envisage de mettre en place un système de prêt d’objets pour le petit bricolage et une “créathèque” pour partager du matériel de loisirs créatifs. Le public pourra aussi troquer puzzles et jeux de société lors de manifestations plus ponctuelles. Donner lieu à des échanges entre usagers rentre également dans l’axe social du projet : « Nous voulons faire de la bibliothèque un lieu de rencontre qui facilite le lien social », soutient la directrice. Toutes ces animations pourront s’appuyer sur un fonds spécifique autour de l’écologie, à destination de tous les âges, qui occupera un espace dédié au sein de la bibliothèque [«  Créer un rayon écologie qui vous ressemble  »].

Des outils de sensibilisation seront aussi installés sur les lieux. À l’intérieur se trouvera une borne où les usagers pourront pédaler pour recharger leurs appareils électroniques. À l’extérieur, on pourra voir une mini-déchetterie, mise en place par le service développement durable de la commune avec l’aide d’une association locale, où le public découvrira en direct le destin des objets triés ou mis à la poubelle.

Enfin, on peut affirmer que la Bibliothèque, dans son essence, son fondement, est en elle-même un projet profondément écologique : prêter le plus longtemps possible des livres à tous les usagers sans distinction, rendre tous les savoirs accessibles et mettre en relation une communauté, principalement locale, grâce à des actions culturelles. 


Quid des labels ?

Choisir un bâtiment labélisé est un point de départ possible pour une structure écoresponsable. Deux labels, que l’on trouve chez les bibliothèques en région Sud, sont la HQE et la BDM :

  • La HQE (Haute qualité environnementale) est un label français discerné par l’association HQE qui désigne les bâtiments dont la conception vise à limiter les impacts environnementaux, tout en assurant aux occupants des conditions de vie saines et confortables.
  • La BDM (Bâtiment durable méditerranéen) est un référentiel de qualité français qui existe depuis 2008. L’association EnvirobatBDM accompagne les projets qui souhaitent acquérir le label, qui porte sur sept thèmes : gestion de projets, territoire et site, matériaux, énergie, eau, confort et santé, et social et économie.

Les expériences des bibliothèques en région montrent cependant que chercher un label n’est pas le seul chemin vers la bibliothèque verte, car chaque structure doit s’adapter à ses conditions de terrain.

La médiathèque Chalucet à Toulon (Var) est une des deux bibliothèques en région à porter la BDM. Viser le label a permis d’obtenir un bâtiment performant au niveau énergétique, tout en maintenant une offre d’espaces publics climatisés. Un choix qui a eu un impact sur le niveau de qualification du bâtiment, BDM Bronze. En effet, pour atteindre le niveau supérieur, il aurait fallu se passer de la climatisation. Il s’agissait d’un arbitrage lié au projet, dans lequel la climatisation était identifiée comme un véritable service offert aux usagers, en particulier aux personnes âgées, dans un des rares lieux publics permettant de demeurer confortablement en restant en dehors du circuit marchand. Un vrai plus en termes d’accessibilité dans le sud de la France, où il fait très chaud une grande partie de l’année.

Pour sa part, la nouvelle bibliothèque de Venelles a initialement visé la HQE, mais les contraintes financières ont poussé le cabinet d’architecture à chercher d’autres solutions. « Les communes traversent une période difficile au niveau financier. Nous n’aurons pas le bâtiment dont nous avons rêvé, mais l’architecte a tout de même pris ces enjeux en compte dans l’orientation des volumes, qui permettra de régler la température par rapport au soleil et de se protéger des vents dominants. La végétalisation du bâtiment sera aussi très importante », affirme la directrice.

L'idéethèque des Pennes-Mirabeau , qui a récemment vu le jour, a été couronnée par le label Or Bâtiment durable méditerranéen. S’inscrivant dans une démarche de développement durable, elle dispose des dernières technologies vertes lui permettant de bénéficier de fraicheur l’été sans climatisation, et d’une chaleur constante l’hiver sans surconsommation d’énergie.